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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/119

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moi-même, dès que j’eus apperçu l’homme dans ces lieux
encore heureux, les regrets flétrirent leur vaine beauté :

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leur solitude fut trop austère, leur silence fut de l’ennui,
leur paix de l’abandon, le roulement du ruisseau m’attrista,
et le parfum des fleurs ne dit plus rien à mon cœur.
Quelle déviation a pu rendre une espèce toute entière
victime de ses propres affections, l’affliger de ce qu’il y

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avoit d’heureux dans son être, l’aliéner de ses desirs

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mêmes, et faire de ces moyens de jouissance, de ces |
ressorts généreux de vie et de conservation, une agitation
convulsive et vainement laborieuse sous le poids d’une
compression mortelle ?

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Avant même que des passions immodérées nous
dévorent de leur feu indomptable, nous éprouvons déjà
tout leur déchirement ; et notre cœur, avide parce qu’il
est fatigué, s’altère et s’épuise sans objet dans l’attente ou
le desir de ce qui doit le consumer enfin.

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C’est bien déjà une passion, et la plus irrémédiable
peut-être, que cette soif vague et intarissable d’en sentir
une plus déterminée. Quand une ame forte a connu deux
années ce vaste besoin, l’occasion seule lui manque pour
entraîner le monde. Si d’impuissantes destinées la

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compriment, ne pouvant soumettre de grandes choses à son
action, elle soumet l’univers à sa pensée ; et dans ses conceptions
générales, toujours loin de sa sphère individuelle,
elle choisit indifféremment dans les lieux et les siècles ce

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  1. C, XIe Rêv., p. 60-66 = l. 105-292 [… homme]. – 105-8. des affections positives nous fatiguent par des promesses si souvent trompeuses, et si souvent écoutées, nous éprouvons déjà l’inquiétude immodérée du désir : notre cœur avide, parce qu’il est dans des voies d’égarement, s’altère –108-9. l’attente de ce – 111-2. que ce désir insatiable d’éprouver des passions. Quand – 112-3 forte n’est pas désabusée de cette affection vague, l’occasion – 114, des destinées impuissantes la – 116-8. pensée : toujours hors de la sphère individuelle où le hasard la plaçoit, elle choisit dans