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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/121

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tu parois un jour sur le fleuve du monde, comme ce flot
passager qui s’élève et s’efface sur le torrent des eaux. Si

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toute substance est éternelle, tout mode est passager ; le

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principe est | invariable, ses émanations sont nécessitées
et toujours mobiles. Toute modification, tout rapport et
des sons et des mouvemens et des formes et des nombres,
tout accident sera produit, nul ne sera perpétué dans une

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durée sans bornes. La force une et irrésistible, seul principe
inhérent à l’univers, seule cause de l’univers modifié,
la nécessité, entraîne toutes choses dans une succession
toujours changée et toujours illimitée. Dans cette éternité
des essences toujours permanentes et des formes toujours

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mobiles ; dans cette infinité des lieux et des tems, un point
est marqué à chaque individu, et pour l’espace et pour la
durée. Vouloir exister dans le siècle actuel et dans le siècle
futur, c’est vouloir vivre à la fois et dans les lieux présens
et dans les lieux éloignés ; c’est vouloir être un autre que

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soi-même ; c’est vouloir qu’une chose soit au même
moment où elle n’est ni ne peut être. Laisse ces plaintes
si vaines ; use de tes jours rapides : veux-tu demander à
la nature universelle pourquoi sa vaste conception n’est
point modelée sur ton sentiment individuel ? veux-tu

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lutter contre l’irrésistible, et reculer ta dissolution dont
tes forces mêmes sont les moyens, dont ta vie est l’inévitable

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préparation ? Par cela même que tu | es sur ce globe
misérable, tu ne peux te trouver parmi des êtres plus
heureusement animés, et par cela seul que tu perçois

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aujourd’hui ce monde dont tu desires les mutations, vingt


    produits sont brillans ; mais les moyens sont tellement hideux que tous s’attachent à les cacher. Dans le secret des faubourgs et des cabanes, dans le secret des familles, dans le secret des cœurs, là sont des maux infinis : et l’œuvre florissante n’est qu’une poupée gigantesque pétrie de larmes et hissée par le désespoir. *Des droits au bonheur ! Avez-vous