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DIXIÈME RÊVERIE

… Je l’éprouve tous les jours davantage, de toutes
les affections produites dans le cœur humain par nos
besoins divers, nulle n’est préférable à la douce impulsion

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de l’habitude. Nos goûts s’effacent avec nos passions
mobiles ; nos desirs changent comme notre situation
précaire et nos années fugitives ; la facile habitude est la
seule pente durable où notre vie entière et s’incline et
s’écoule.

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Ce qui nous séduisoit hier peut cesser de nous plaire
aujourd’hui ; mais une chose même indifférente dans son
principe s’identifie à notre être dès qu’elle est en quelque
sorte consacrée par l’habitude. Un plaisir absolument
isolé, quelque vif qu’il puisse être, ne nous laissera qu’un

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stérile souvenir ; mais une jouissance, autrefois habituelle,
se perpétue jusques dans la vieillesse, au moins par le
charme de ses regrets. L’empreinte des premiers ans est

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sur|tout ineffaçable, et souvent le besoin de ce qu’ils ont
possédé devient une privation intolérable pour le vieillard

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qui, même dans un meilleur ordre de choses, ne jouira
de rien par cela seul qu’il ne retrouvera pas ses premières
jouissances. Le feu des passions peut faire oublier ou
méconnoître, durant la jeunesse, le pouvoir de l’habitude.

[JM 1]

[JM 2]

  1. C, Xe Rêv. p. 57 = l. 2-17. – 2. De tous les penchans produits dans
    le cœur de l’homme par – 4. nul – 10. peut nous déplaire – 17. des regrets.
  2. C, Xe Rêv. p. 58-60 = l. 17-68. – 17-8. est ineffaçable– 18. qu’ils avoient