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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/216

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QUINZIÈME RÊVERIE
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Volentem fata ducunt, nolentem trahunt.
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L’intérêt de leur propre repos exige du commun des
hommes ce que la sagesse prescrit aux hommes désabusés ;

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le sage et l’homme vulgaire devroient également
s’abandonner au cours des choses lorsqu’elles n’attendent point
d’eux leur détermination et user bien du tems présent,
sans prétendre préparer celui qui lui doit succéder. Les
hommes ainsi entraînés seroient et plus heureux et meilleurs.

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La prudence comme l’imprévoyance naturelle, la
raison profonde comme l’inepte insouciance s’accommoderoient
également de cette indifférence plus facile, à la fois,
et plus sensée que les efforts et l’habileté contraire. Mais
la balance du sort est si inégale parmi nous que cette

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indifférence est devenue l’effort le plus diffi|cile, et que cet
abandon si naturel à tous les hommes, exige maintenant
un héroïsme sublime auquel très-peu d’entre eux pourroient
prétendre. La différence des conditions est si grande
que dans cet état factice il y a plus de distance entre le

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sort des individus d’une même espèce que la nature n’en

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  1. C, XVIIe Rév., p. 105-107 = l. 2-76. – 3-19. Usons du temps actuel
    sans nous occuper, vainement peut-être, de celui qui n’est pas encore réalisé. Volentem fata ducunt, nolentem trahunt. La vertu du sage, et le repos du commun des hommes, gagneroient également à ce que l’on s’abandonnât au cours des choses, toutes les fois qu’un devoir bien positif n’interdiroit pas expressément cette heureuse imprévoyance. Mais nos destinées sont devenues tellement inégales, que ce repos de l’ame est l’effort le plus difficile. Dans notre état factice – 20. individus, que –