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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/247

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Dans l’irrésistible torrent des heures qui dévore sans
retour notre être instantané, cherchons du moins à pacifier
ces destins versatiles, et prolongeons nos sensations
par le doux contentement du jour qui s’écoule, et cette

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sécurité inaltérable qui semble perpétuer le présent et
reculer l’avenir. Quelle étrange folie à des cœurs mortels
que cette avidité qui consume nos jours plus rapidement
que le tems lui-même ; et ces desirs immodérés, ces
alarmes, ces agitations qui perdent une durée déjà si

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ébranlée par nos orageux destins. Heureux le sage enfant
de la nature qui use de sa vie et ne la précipite point en
vain. Il coule ses jours faciles sous son toit simple mais
commode. Libre de toute affaire, libre de l’inquiète cupidité,
il nourrit son troupeau dans le pâturage qu’il reçut

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de ses pères ; une source libre, des fruits, des racines, les

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châtaignes de son verger, le lait de ses chèvres, | suffisent
à tous ses besoins [S 1] ; et il prépare ses enfans à la paix de
son cœur, à la douceur de ses habitudes, à ses constantes
voluptés.

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Ainsi vivent les pasteurs des Alpes suisses dans les vallées
fortunées de Schwitz, de Glaris ou d’Underwalden,
où l’on ne voit pas un riche, où l’on ne trouve pas un
pauvre ; où la simple abondance embellit le plus ignoré
des chalets ; dont toutes les terres sont sauvages, et toutes

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sont aimées ; où chacun possède quelque chose des forêts
et des eaux, des troupeaux et des pâturages ; où tout
homme chérit sa patrie, parce que sa patrie toute entière
est semblable à lui ; et dont le Landamme [S 2] maintient
  1. Trois sortes d’hommes usent des choses naturelles ; et les
    hommes simples qui sont assez heureux pour n’imaginer que
    celles-là et les hommes disgraciés du sort qui sont assez pauvres
    pour n’en pouvoir atteindre d’autres ; et les hommes assez sages
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    pour leur sacrifier tout ce que l’art peut produire.
  2. Chef du canton. L’on voit que ceci appartient à l’époque