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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/249

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gueux, dans la sécurité des vallées ; la paix des monts

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en leur silence inexprimable, | et le fracas des glaciers
qui se fendent, des rocs qui s’écroulent, et de la vaste

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ruine des hivers.

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Hommes forts, hâtez-vous ; le sort vous a servi en vous


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    forment seulement comment on y couche et surtout comment
    l’on y mange. Voudrois-je leur faire changer de goûts ou leur
    persuader une opinion différente, nullement je pense au
    contraire que l’homme n’est heureux, qu’il n’est bien ordonné, que
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    lorsqu’il n’y a pas de discordance entre son naturel en général et
    ses affections accidentelles, entre ses penchans et le but qu’il leur
    propose.
    Je reviens au pouvoir des sons sur l’homme. Des principaux
    modes apparens de sa faculté de sentir, je regarde l’ouïe comme
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    celui qui le modifie le plus puissamment ; c’est celui qui excite
    dans ses organes les vibrations les plus marquées, celui par lequel
    surtout il se trouve à l’unisson ou discordant avec les êtres
    extérieurs, celui par conséquent qui influe le plus directement sur
    son bien-être et celui, comme on l’a toujours éprouvé, dont la
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    privation le rend le plus malheureux en le séparant de l’univers.
    C’est par lui principalement que la solitude devient intolérable
    aux habitans des grandes villes qui, même dans une vie oisive et
    sédentaire, avoient contracté par l’ouïe l’habitude d’une
    continuelle agitation ; c’est par lui que les habitans des plaines
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    vaporeuses, qui retentissent dans leur silence apparent d’une fermentation
    perpétuelle, éprouvent un vide d’abord indéfinissable dans
    l’atmosphère pure et vraiment silencieuse des hautes montagnes.
    C’est encore son pouvoir qui, dans des tems presqu’oubliés, changea
    les passions et les mœurs des hordes sauvages, persuadées et
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    entraînées invinciblement par l’éloquence des sons, non pas par
    cet art savant d’arranger leur succession d’une manière convenue,
    et dont l’esprit seul perçoive l’industrie ; mais par cette
    musique primitive qui n’imprime à nos organes que les ébranlemens
    dont ils sont naturellement susceptibles ; qui place dans
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    une situation continue un effet simple et sublime, comme les
    accidens de la nature ; qui dit à tous les hommes ce que chaque
    homme a pu éprouver ; et dans son discours éloquent, introduit
    çà et là de ces accens caractérisés et indicibles, qui entraînent les
    ames fortes et n’arrêtent point les autres parce qu’elles n’ont pas
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    entendu.

  1. C, XLe Rêv., 236 sq. = l. 216-241. – 216-7. hâtez-vous : vivez ; il