Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/32

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l’autre : leurs têtes étoient baissées, et leurs yeux fixés
dans les touffes rougeâtres de la bruyère où elles cherchoient,
avec plus de constance que de succès, quelques
brins arides d’une herbe jaunie. C’étoient les seuls êtres

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animés qui respirassent dans ces landes, et leur immobilité
sembloit craindre d’en troubler la paix silencieuse. Le
soleil, sans nuage, éclairoit d’une manière fixe la contrée
vaste et déserte. Seulement, de tems à autre, l’on entendoit
dans les bruyères le bêlement de la brebis plaintive.

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Ce grand calme ajoutoit à cette étendue solitaire, son
ciel sembloit plus profond, plus illimité, sa terre plus
abandonnée.
Plusieurs de ces collines lointaines, à divers points de
l’horizon, ramenoient des souvenirs douloureux et des

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regrets inénarrables. J’étois agité dans ce calme général,
et je l’étois seul ; nul homme ne s’y étoit retiré pour y
penser librement, pour y souffrir ignoré.
Avide de pensers sublimes et d’émotions extrêmes, mon
idée, perdue dans le vague de l’essence primitive des

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êtres, sondoit, dans sa démence, d’inexplicables et douloureuses
profondeurs. Qu’en cet instant suprême les

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vicissitudes humaines, et la succession nécessaire et des
choses et des tems, me sembloient imposantes ! que cette
nature en son universalité étoit belle à ma pensée, et la

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vie de l’homme misérable à mon cœur !……
Triste et indéfinissable opposition du tout permanent et
sublime à l’individu souffrant et mortel ! Que m’importe
cette beauté que je n’admire qu’un jour, cet ordre dans
lequel je ne serai plus rien, cette régénération qui

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m’efface ?

[JM 1]

[JM 2]

  1. A. – 67. fixe et constante – 73-4. lointaines élevaient de divers points de l’horizon des – 81. Ô qu’en
  2. C, IIe Rêv., p. 9-14 = lignes 86-205 ; note 4 ; l. 206-237. – 86. entre le