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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/58

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TROISIÈME RÊVERIE


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Tacitum sylvas inter reptare salubres
Curantem quidquid dignum sapiente bonoque est ?
Horace, Épit. IV.

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Nulle innovation ne nous éloigne davantage de notre
manière naturelle, et n’altère plus en nous l’habitude primitive,
que l’effort de produire, sans occasion et sans
besoin, des pensées relatives à des objets absens ou étrangers
à nous. L’impression des premiers besoins, ce mouvement

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nécessaire que produit l’altération qui survient
dans notre équilibre général, ou bien l’action des êtres
extérieurs sur nos sens, doivent seuls nous donner nos
sensations, et dès-lors imprimer seuls le mouvement aux
organes qui les opposent, les estiment et jugent leurs

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différences. Vouloir penser sans occasion présente, c’est
regarder en l’absence de la lumière ; aussi dans ces deux
cas la pensée comme l’œil, saisissent des fantômes. L’individu
ne doit pas marcher seul ; sa volonté ne saurait |

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l’isoler sans l’égarer ; sa force est d’être entraîné ; sa

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destination d’être porté par le torrent des êtres. Jamais,
quoiqu’il fasse, il ne pourra former un tout particulier,
séparé et comme indépendant ; effet nécessaire de tant de
causes par lesquelles il est cause lui-même, il ne peut
sentir son être que comme le résultat de toutes les impressions

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reçues. C’est la discordance entre le cours universel
et cette trace particulière sur laquelle le penseur factice
veut s’arrêter au sein de la succession générale des impres-