Aller au contenu

Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

405

pleure ; mais l’homme qui reçoit des sensations là où les
autres ne trouvent que des perceptions indifférentes. Une
émanation, un jet de lumière, un son nuls pour tout
autre, lui amènent des souvenirs ; une roche qui plombe
sur les eaux, une branche qui projette son ombre sur le

410

sable désert, lui donnent un sentiment d’asile, de paix, de
solitude ; et la perpétuelle incertitude de son cœur est
retracée dans cette eau toujours écoulée, et toujours reproduite,
que le moindre souffle agite en ondes prolongées,
et que bouleversent de fréquens orages. Si le soleil écarte

415

les nues, dans la nature embellie, il ne voit que des biens,
il ne sent que l’espérance. Si les nuées reviennent voiler
le soleil, tout dans l’ombre se flétrit à ses yeux : l’avenir
est chargé de maux, tout est sinistre, alarmant, le voilà

[76]

détrompé, triste, accablé. Une fleur odorante | se trouve-

420

t-elle sous ses pas, son parfum a dissipé tous ces fantômes,
et ramené sur l’avenir le voile des illusions plus heureuses.
Une idée triste se présente-t-elle la première à son réveil,
cette journée sera celle des ennuis et des douleurs ; s’est-
il éveillé dans la paix, il va tolérer la vie. Qu’il consulte,

425

le matin, les brouillards et les vents ; qu’il écoute quels
oiseaux chantent l’aurore : les malheurs lui seront moins
pénibles dans un beau jour, que le poids seul du tems  
sous un ciel voilé de brumes. Il est des sensitives qui se
flétrissent dans les tems d’orage, et se réveillent avec la

430

sérénité des cieux.


    quelles il ne sauroit résister parce qu’il n’en a point d’autres à leur
    opposer.

    des sentimens contraires, jointe à une sorte de modération dans tout ce qui nous émeut : c’est une habitude de supériorité sur l’affection qui semble nous commander actuellement, c’est une gravité de l’âme, une sagesse du cœur en sa perpétuelle agitation, une étendue de pensée dans laquelle se trouve aussitôt la perception secrète que la nature voulut opposer à la sensation visible. Dans sa force, l’homme sen-