Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/124

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d’ordre et beaucoup de discipline, mais cet ordre n’est
plus l’ordre politique, cette discipline n’a rien de moral :
et c’est ainsi que toutes les notions se trouvent altérées,
et que la moralité des actions se trouve dépréciée. Les
peuples subsistent néanmoins. Sans doute ; qui les détruiroit ?
Les loups et les rennes subsistent ensemble dans
les forêts du Nord ; les uns voraces, les autres fugitifs,
tous vivent. On peut faire jouer une machine surchargée
de rouages mal combinés ; mais les ressorts crient, les

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roues gémissent, et les réparations in|dispensables se
multiplient. Quand la machine se détraque, on en
fabrique une autre à peu près semblable ; et avec tout ce
bruit on croit avoir fait beaucoup, tant qu’on ignore l’art
de produire plus avec simplicité.
Si la constitution prévoit la guerre, il est impossible
qu’elle soit sage : car les principes convenables en temps
de guerre ne peuvent se concilier avec les principes qui
feroient la félicité d’un peuple. Si la constitution ne prévoit
pas la guerre, il est impossible qu’elle subsiste : car
si la nation est subjuguée, elle perdra ses lois ; et si elle
est victorieuse, elle changera ses lois, parce que la guerre
aura changé la situation des choses et la pente des
mœurs.
On peut compter les hommes que la guerre tue. Mais
a-t-on compté ceux qu’elle mutile, ceux qu’elle ruine,
ceux qu’elle afflige en tant de manières, et tous ceux
qu’elle corrompt ? Elle corrompt la Terre. Partout elle
renverse le peu de bien qui se fait ; partout elle empêche
de faire mieux. Elle dénature les principes : elle perpétue
les affections indépendantes et les passions audacieuses,
l’amour des choses difficiles, et le secret mépris des véritables
moyens du bonheur public. Elle pervertit les institutions
et les mœurs : elle fait plus encore, elle rend