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Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 2.djvu/83

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sibles à tous. Il nous faut des causes d’union, et non des
principes de discorde : nous voulons que tous coopèrent
à l’œuvre que tous doivent aimer ; nous voulons que tous
s’attachent avec une même joie, avec une même force,
avec un même sentiment de dignité à cette manœuvre
industrieuse et simple qui doit soutenir pour un temps sur
l’Océan des détresses humaines un frêle vaisseau de
félicité sociale.




[178]

TRENTIÈME RÊVERIE

Il est des hommes qui disent : Nous sommes revenus
du roman de la vie. Ce sont des hommes dont les jours
sont suivis, qui s’occupent d’une forme convenue de
choses, qui ont les vues de leur état, et qui ont pris un
état pour avoir des vues et un caractère. Cette justesse
est louable : mais faudroit-il ne voir que cela dans l’univers ?
Ces effets calculés, ces proportions mesurées des
incidens forment une marche exacte qu’on appelle la vie
raisonnable : il se peut que la vie de beaucoup d’hommes
y soit contenue toute entière ; cependant leurs existences
ne forment qu’un seul des phénomènes de l’existence
humaine.
L’espèce incertaine paroît s’essayer dans le possible, et
chercher encore sa nature ignorée, son caractère indécis, et
son objet invisible.
Le sérieux des hommes graves, et cette utilité à laquelle
s’attachent ceux qui s’occupent de leur affaire, sont peut-
être les plus futiles des fantaisies : c’est la vie présente
de presque tous les humains qui n’est autre chose que le
roman de la vie……