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NOTES D’UNE FRONDEUSE

lâchage ne fut plus brusque, moins motivé, plus éhonté ; jamais nul ne se vautra avec autant de béatitude dans sa propre abjection.

— Il est fou ! disent quelques-uns.

Et ils expliquent qu’il faut être frappé de démence pour avoir compté qu’un pareil acte rouvrirait au renégat les bras de la République ; alors que, seul, le pied des républicains pouvait donner. Ils racontent aussi que tous les partis, sans distinction, retireront le couvert de cet indiscret à qui il ne suffit pas de tenir la bouche pleine pour l’empêcher de « manger le morceau. »

… Non, l’homme n’est pas fou ! Il est l’écume, la scorie, la charogne que les phénomènes physiques ou politiques laissent derrière eux — l’épave des cataclysmes sur laquelle les chiens vont pleurer de mépris !

Depuis que le monde existe, on l’a vu toujours, mêlé à toutes les tragédies humaines, y jouant éternellement le même rôle ; vendant son maître, brocantant sa patrie, livrant son Dieu !

Ce sont les trente deniers du préteur qui tombent dans la main de l’X*** — ces trente deniers que le continuateur inconnu d’Iscariote ramassa au pied de l’olivier où l’autre pendait comme un fruit pourri ; ces trente deniers que l’on retrouve dans toutes les caisses où la trahison allonge ses pattes suantes et glacées !

Le nom de l’X***, ne le cherchez plus ! Il s’est appelé Judas, dans la chrétienté ; Deutz, dans la seconde chouannerie ; il a livré Maximilien à Queretaro, Gordon à Kartoum… Notre temps, moins individuel, inflige à cet anonyme un surnom anonyme : celui que lui donna le proscrit dont il confirme et justifie la condamnation — il l’appelle l’ « Ordure », tout simplement !