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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Je redescends et parcours le jardin. À chaque pas, mon émerveillement s’augmente ; la traîne de ma jupe roule autant de leurs que de cailloux.

— Regardez, il se reposait là, souvent.

Et, derrière le banc, près d’un buisson de fuchsias où les clochettes vermillonnes mettent une gaîté de fête chinoise, il me semble apercevoir sur le roc une large traînée de sang, une flaque de pourpre où toutes les veines d’un homme se seraient vidées !

La sensation a été si vive, si imprévue que j’ai reculé…

Ce sont les vignes vierges qui se sont barbouillées de lie pour l’automne ; qui ont mis ce reflet de sa mort à l’endroit où il vécut, où il rêva, les yeux tournés vers la patrie !

Madame Vannier m’a cueilli toute une gerbe des lis chair qui s’épanouissent sans feuilles, dans le sol de Jersey, et des roses à pleines poignées. Elle me met tout cela sur les bras, alors que je prends congé et la remercie de son cordial accueil.

Je suis sortie par la grille correspondante à celle par laquelle j’étais entrée ; et, me retournant pour saluer une dernière fois l’hôtesse charmante, je lis ceci, le cri de ces murailles, de ces arbres, de ces plantes, de cette Terre promise, enfin, vers le couple qui s’en fut mourir loin d’elle :

« Où que tu soyes ne t’oublierai ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

À la tombe d’Ixelles, j’ai expédié mon bouquet, ces lis et ces roses — peut-être des baisers tombés qui ont refleuri !…