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NOTES D’UNE FRONDEUSE

« Madame,

» Depuis trois jours que j’ai vu la vente du général Boulanger annoncée, je remettais de vous écrire, car je crains d’abuser de votre complaisance, mais l’article de M. M… qui s’en moque, et le manifeste de l’extrême-gauche qui le traite de César et de soldat révolté m’a fait oser. Plus on veut le flétrir, plus je tiens à son souvenir.

» Pourriez-vous me dire, madame, comment faire pour me procurer un petit objet quelconque lui ayant appartenu ; étant ouvrière, je ne peux aller à Bruxelles, mais j’ai eu l’idée que peut-être vous irez. Si cela était, madame, et que vous voudriez bien, je vous enverrai un peu d’argent ; et vous m’achèteriez un petit souvenir de l’homme qui a fait des fautes, sans doute, mais qui a été bien trahi et profondément malheureux ; que j’ai toujours considéré comme honnête, et qui avait su ramener l’espoir dans les cœurs français. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Croyez-vous qu’elle est belle de simplicité et de constance, cette lettre d’une plébéienne, d’une tâcheronne, qui s’use les yeux nuit et jour sur sa couture, et pour qui l’aiguille a gardé, sous la lampe, des reflets d’épée Croyez-vous que la dernière phrase en est éloquente, que la dernière ligne en est significative, dans sa précision et son laconisme ; que le porte-plume d’un sou trace lapidairement entre les doigts piqués qui hésitent le mot de l’énigme… pourquoi cet homme, vivant, fut ainsi suivi ; pourquoi cet homme, mort, est ainsi aimé !

« Qui sut ramener l’espoir dans les cours français ! » Cela dit tout, explique tout, justifie tout. Et cette pas-