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NOTES D’UNE FRONDEUSE

front bas, des taches de son aux joues, les yeux couleur d’algue. Il est mort, on le sait bien, et c’est fini… mais il restera à mon mur ! Des clients, des beaux messieurs de passage, m’ont dit : « Enlevez donc ça ! » J’ai répondu : « Non ! » Et quand ils sont revenus, ils sont allés en face, au cabaret du Gué, où le cidre ne vaut rien et où le patron est voleur. Ça m’est égal ! Les autorités m’ont fait des ennuis, à cause. Chaque fois qu’il y a une contravention dans le pays, elle est pour moi. Ça m’est égal ! Mais tant que je vivrai, foi de Karadeuc, on n’y touchera pas !

Celui-là, pour mépriser ainsi son intérêt et se passionner, ne devait pas être Normand. Breton, plutôt ? Sans doute, quelque semis de Chouan.

— Je suis petit-fils de bleu, et j’aimais la République… avant !

— Vous l’avez connu, le général ?

— Non. Même jamais vu.

— Il vous a été utile ?

Pas plus. J’avais soixante écus d’économie ; je les lui ai envoyés, pour qu’il vienne à bout des « autres ».

— On vous a remercié ?

— Non.

— Alors, pourquoi l’aimez-vous ainsi ?

Et l’homme, avec un geste éperdu, ouvrant tout grands les bras :

— Je ne sais pas. Au commencement, c’était de l’amusette, parce qu’il était bel homme et qu’on chantait des marches. Je ne tenais même au portrait qu’à cause des couleurs ; et puis, parce que le cadre est doré.

— Et maintenant ?

— Maintenant, il pourrait être tout noir, et sans le cadre, j’y tiendrais pareil ! Voyez-vous, tant plus qu’on lui faisait de misères, à Boulanger, tant plus qu’on se