Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
NOTES D’UNE FRONDEUSE

cience vivante, parlante, agissante, que doit être le Juge, selon la Loi… et selon la Morale !

Car, présentement, celle-ci prime celle-là ! Avant que l’autre ait rendu son verdict, l’une a rendu son arrêt. Et si, désarmé par quelque tour de chicane, par quelque ficelle de procédure, par le manque de preuves, seulement — en cette bizarre affaire où les pouvoirs publics semblent préoccupés par-dessus tout d’éviter les preuves ; voire de laisser aux intéressés le temps de les détruire — si, dis-je, vous vous trouviez dans l’obligation de faire des acquittés, vous n’en auriez pas, pour cela, fait des innocents.

C’est qu’une juridiction subsiste, hors la vôtre. Non pas celle des potins, des calomnies, des commérages, inhérents à toute lessive tapageuse. De ces vétilles, la curiosité s’amuse, la badauderie fait : « Kss ! Kss ! »… et c’est tout ! Mais, cette fois, lésée dans ses intérêts ; blessée dans ses sentiments ; outragée dans sa dignité ; l’opinion a pris la peine de convoquer le ban et l’arrière-ban de ses forces.

En grand appareil, elle trône, décide, domine ; si impérieuse, si courroucée, le verbe si bref, le geste si prompt, que tout a dû courber sous sa volonté ; même la loi ! Cette fois, elle ne frondait plus, ne chantait plus, l’œillet au corsage, « le cœur à l’ai-ai-ai-se ! », bonne fille entichée d’un beau soldat ! Il ne s’agissait plus de sa turlutaine ou de son espoir — il s’agissait de ses économies… et de l’honneur national !

Alors, le Laffemas moderne, Quesnay-la-Proscription, qui avait, sans faiblir, affronté tant d’orages, s’est vu, plié comme roseau, contraint de céder la place ; alors, les plus obstinés, les plus hautains, les plus rebelles, ont dû filer doux !

Et, dans la docilité navrée de la plupart, dans cette