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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


un temps où tous deux étaient plus loin encore de leur belle jeunesse, sa tendresse redoublait, et il lui disait avec une émotion qui n’aurait pas semblé dans son caractère : « Je vous aimai toute ma vie, ma chère cousine, et nos petites brouilleries mêmes n’ont pas été une marque que vous me fussiez indifférente ; mais je ne vous ai jamais tant estimée, ni tant aimée que je fais aujourd’hui. Ce qui me le fait croire, c’est que je crains de vous perdre plus que je n’ai jamais fait. Que ferois-je au monde sans vous, ma pauvre chère cousine ? Avec qui pourrois-je rire ? Avec qui pourrois-je avoir de l’esprit ? En qui aurois-je une entière confiance d’être aimé[1] ? » Quel éloge de madame de Sévigné qu’une amitié si vraie inspirée à un cœur où il y avait tant d’égoïsme ! Parmi les preuves de la bonté de sa cousine, une de celles qui l’avaient le plus touché, avait été le dévouement avec lequel elle lui avait donné des soins à Paris, pendant une douloureuse maladie qui avait duré soixante-cinq jours. Peu de temps après son rappel à la cour, qui s’était fait attendre dix-sept ans, une nouvelle marque de froideur du roi l’avait accablé et avait réveillé cet ancien mal qui l’avait fait envoyer de la Bastille chez Dalancé. Il subit, au mois d’août 1683, une cruelle opération[2], Durant ses longues souffrances, madame de Sévigné fut près de lui, et soutint son courage. Quelque temps après, il lui en exprimait ainsi sa reconnaissance : « Les soins que vous m’avez rendus pendant ma maladie m’ont tellement réchauffé pour vous, qu’il n’y a que l’amour plus fort que ce que je sens ; mais ce que je sens sera assurément plus durable que l’amour ; car j’aurai pour vous, toute ma vie, la plus tendre amitié qu’on aura jamais[3]. » À tout péché miséricorde. Tenons compte à Bussy d’un attachement devenu si sincère. Il doit en même temps lui revenir beaucoup d’honneur d’être, à tout prendre, de tous les correspondants de madame de Sévigné, celui qui tient le mieux sa place à côté d’elle, d’avoir mérité qu’elle l’appelât plaisamment le fagot de son esprit, c’est-à-dire celui qui, plus que personne, excitait cet esprit, et en piquait au jeu la gaieté et la verve plai-

  1. Lettre du 5 novembre 1687.
  2. Mémoires de Bussy, tome II, p. 301.
  3. Lettre du 10 octobre 1683.