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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/138

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NOTICE BIOGRAPHIQUE


parent et ami de la plus jolie fille de France, fut très-vivement blessé, et n’eut pas tort, ce semble, de juger que « cela n’était pas de la politesse de Rambouillet. » Madame de Sévigné réclama cependant de lui une procuration pour que son nom fût au contrat, enveloppant sa demande des plus agréables flatteries et des plus insidieux compliments sur son esprit. Mais Bussy s’abstint : il pensait que c’était assez d’avoir donné son approbation au mariage dans une lettre où il reconnaissait le mérite et la qualité de M. de Grignan, et ne trouvait en lui rien à reprendre, si ce n’est « qu’il usait presque autant de femmes que d’habits ou du moins de carrosses. » Madame de Sévigné ne se tint pas pour battue ; elle prétendit obtenir quelque _ chose de plus difficile encore que la signature au contrat, une lettre que Bussy écrirait le premier à M. de Grignan. Elle ne demandait, il est vrai, « qu’une lettre badine, » et elle colorait de son mieux l’impolitesse de M. de Grignan. Ce n’en était pas moins vouloir renverser l’ordre naturel, « cet ordre gothique des familles, » comme elle disait pour le besoin de la cause, avec le dédain affecté d’un avocat qui sait son métier. Bussy était sur un bon terrain ; il le défendit pied à pied. C’était un nouveau duel qui commençait entre sa cousine et lui, lorsque le premier, que nous avons raconté, venait à peine de se terminer par sa défaite. Celui-ci devait avoir la même issue. Si l’on veut chercher quelque part un modèle d’éloquence insinuante ou d’habile diplomatie, il est peu d’orateurs ou de politiques qui en puissent offrir d’égal aux lettres écrites, pendant cette difficile négociation, par madame de Sévigné. Quelle différence avec le billet très-sec de madame de Grignan à Bussy[1] sur cette même question de civilité ! Ce billet seul pouvait, à bon droit, paraître fort aigre à Bussy, et non ceux de madame de Sévigné. Avec combien d’art au contraire elle désarme son orgueil, « démonte son sérieux, » l’attaque par tous les côtés faibles de l’amour-propre ! Avec quelle bonne grâce, tout en rappelant qu’elle est sur le point de devenir grand-mère, elle abuse de tous les privilèges de la femme ! Il fallut donc que Bussy reconnût encore une fois son vainqueur. Quoiqu’il ne parle pas expressément d’un compliment

  1. Lettre du 4 juin 1669.