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NOTICE BIOGRAPHIQUE


On imagine aisément quelle douleur cette lieutenance générale, si effective, en Provence causa à madame de Sévigné. Elle en rappelait le souvenir à M. de Grignan, dans une lettre du 10 décembre 1670, lorsqu’elle voyait approcher le moment de la cruelle séparation : « Je serai bientôt dans l’état où vous me vîtes l’année passée. » Elle put du moins gagner un peu de temps, quand M. de Grignan partit pour son gouvernement vers la fin d’avril 1670. Le voyage de Paris en Provence était, en ce temps-là, long et fatigant, et l’on jugea trop hasardeux de le faire entreprendre à madame de Grignan qui était alors au commencement d’une seconde grossesse. Il fut d’autant plus facile à madame de Sévigné d’alléguer la nécessité de la prudence qu’une première couche n’avait pas été heureuse. Pendant l’automne de 1669, madame de Grignan était à Livry, près de sa mère, avec M. de Grignan. Son beau-frère, le chevalier de Malte, le grand chevalier, comme on l’appelait, s’y trouvait aussi. Le 4 novembre, sous les yeux de sa belle-sœur, il fit une chute de cheval. Madame de Grignan éprouva un tel saisissement qu’elle fit une fausse couche. Rien ne s’expliquait plus naturellement que cette frayeur. Mais le chevalier de Grignan était fait pour plaire. De belle taille comme son frère, il n’avait rien de sa laideur. Quand une mort prématurée l’enleva (ce fut bien peu de temps après, le 6 février 1672), madame de Sévigné rappelait à sa fille « qu’il avait une belle physionomie, une très-grande tendresse pour elle, » enfin « qu’il était infiniment aimable[1]. » Cela suffit à la malignité publique pour interpréter méchamment l’émotion que son accident avait causée à madame de Grignan. La calomnie circula sous cette forme de vaudeville qu’on aimait beaucoup alors :


Grignan, vous avez de l’esprit
D’avoir choisi votre beau-frère.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Matou, n’en soyez pas jaloux,
Il est Grignan tout comme vous.


C’est faire trop d’honneur peut-être à ces vilenies, que de s’y arrêter ; et nous ne citerons pas la parodie de la Cigale et la

  1. Lettre du 12 février 1672.