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NOTICE BIOGRAPHIQUE


des séparations. Il avait vingt ans lorsqu’il s’engagea dans cette aventureuse et héroïque expédition de Candie, que la Feuillade, duc de Roannez, conduisit au secours de Venise contre les Turcs, et pour laquelle s’enrôlèrent comme volontaires plus de quatre cents jeunes gens appartenant à la meilleure noblesse de France. Sévigné fit partie de la brigade commandée par le comte de Saint-Paul[1], celle qui, dans cette entreprise chevaleresque, perdit le plus de monde[2]. Lorsqu’il partit, dans les derniers jours d’août 1668, pour Toulon, d’où l’expédition mit à la voile le 25 septembre, le mariage de mademoiselle de Sévigné avec le comte de Grignan, quoique madame de Sévigné en fît encore, dans ses lettres, un mystère à Bussy, était déjà projeté. Nous voyons en effet que Charles de Sévigné, avant son départ, laissa, pour le contrat, une procuration à l’abbé de la Mousse, qui le signa comme son fondé de pouvoir[3]. Quoique madame de Sévigné ne nous ait pas laissé une peinture aussi pathétique de sa douleur au départ de son fils qu’à celui de sa fille, et que le degré d’affliction n’ait pas été le même dans les deux occasions, il est certain qu’elle aimait beaucoup aussi Charles de Sévigné, et que, pour être inégalement partagée, sa tendresse maternelle n’était point cependant tout entière d`un seul côté. « Il est parti, écrivait-elle à Bussy le 28 août 1668, il est parti, j’en ai pleuré amèrement ; j’en suis sensiblement affligée ; je n’aurai pas un mo-

  1. Ce fils de madame de Longueville, dont la mort au passage du Rhin a si heureusement inspiré madame de Sévigné dans quelques-unes de ses plus célèbres lettres, fut, dit-on, très-épris de la belle madame de Grignan. Ce ne peut être qu’en 1670. On a raconté qu’un jour, importunée de ses obsessions, elle lui dit : Saule, Saule, quid me persequeris ? L’anecdote peut avoir un fonds de vérité ; elle est bien douteuse dans le détail. Madame de Grignan était fort capable de citer en latin les Actes des apôtres ; mais ici la citation beaucoup trop badine aurait pu ne pas sembler au comte de Saint-Paul un reproche assez décourageant.
  2. Voir, pour les détails, l’Histoire de madame de Sévigné (p. 148-153), par M. Aubenas, qui a appuyé son récit de l’autorité imprimée en 1670 et intitulée : Journal véritable de ce qui s’est passé en Candie sous M. le duc de la Feuillade, par M. des Roches, aide-major.
  3. Voir à la fin de la Notice, dans la liste des personnes dénommées au contrat de madame de Grignan (note 7).