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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


Sévigné se réservait de reprendre plus tard avec la Mousse. Son fils lui lisait des chapitres de Rabelais, des romans, des comédies, qu’il jouait, dit-elle, comme Molière. On voit qu’il avait du moins acquis quelque talent chez la Champmeslé. Enfin « il était amusant, il avait de l’esprit[1], » il adorait sa mère. Quand il fallut la quitter, il lui promit de ne rien oublier de tous ses discours. « Je le connois bien, écrivait alors madame de Sévigné, et souvent, au travers de ses petites paroles, je vois ses petits sentiments[2]. » Il y avait en effet autant de gentille amabilité dans les uns que dans les autres. Elle disait encore que « son cœur était fou ; » mais sous cette folie les petits sentiments étaient bons.

Nous nous sommes abandonné simplement et sincèrement ai notre sympathie pour cet aimable jeune homme, sans chercher à ménager un contraste avec sa sœur. Si quelquefois ce contraste se trouve dans les faits, ce n’est pas nous qui l’y aurons mis. Nous serions désolé de paraître systématiquement sévère contre madame de Grignan. Nous comprenons qu’aux yeux de beaucoup de personnes le touchant amour de sa mère la protège, comme si l’on craignait, aujourd’hui encore, de troubler l’âme maternelle qui continue pour nous de vivre dans ces lettres ; comme si l’on se faisait scrupule d’abuser contre la fille de plaintes que madame de Sévigné aurait voulu effacer avec ses larmes, avec son sang, si elle eût pu penser qu’un jour ces plaintes qui lui échappaient dans les épanchements d’un commerce intime, déposeraient contre celle qui lui était uniquement chère. Nous entrons trop bien dans ce sentiment pour ne pas vouloir tout au moins être juste ; et nous ne refusons pas de croire, parce que cela est trop naturel, que madame de Grignan aimait autant sa mère qu’elle pouvait aimer. Mais nous ne ferions pas, en le dissimulant, qu’il n’y eût point, dans les premières lettres mêmes, écrites presque au lendemain de la séparation de 1671, des traces de ces blessures, qui, dans tous les temps, nous le verrons, déchirèrent un cœur trop exigeant peut-être, mais exigeant à bon droit. Dès le 11 février 1671, madame de Sévigné, se réjouissant d’une tendre lettre qu’elle

  1. Lettre à madame de Grignan, 21 juin 1671.
  2. Lettre à madame de Grignan, 5 juillet 1671.