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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/160

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NOTICE BIOGRAPHIQUE


Le comte de Grignan avait rencontré dans son gouvernement des difficultés d’un autre genre qui ne lui furent peut-être pas plus pénibles, qui cependant étaient réellement plus graves, et n’ont pas le même caractère presque ridicule d’un mesquin antagonisme de personnes. La mission de pressurer les peuples, de fermer l’oreille au cri de leur misère, d’anéantir leurs libertés et leurs droits, a une terrible responsabilité ; et dans un temps qui n’était pas précisément celui des vertus civiques, un gouverneur pouvait se trouver perplexe entre la disgrâce du pouvoir et la juste haine d’une province. M. de Grignan reçut l’ordre de Colbert, à la fin de 1671, de demander six cent mille livres aux communautés, au lieu des quatre cent mille des années précédentes[1]. L’assemblée résista. On ne pouvait la faire arriver qu’à trois cent cinquante mille livres. Colbert écrivit à M. de Grignan qu’on licencierait les députés, et que de longtemps ils ne se verraient ensemble. Il demanda les noms des plus récalcitrants. Cependant il finit par accepter quatre cent cinquante mille livres ; mais il envoya des lettres de cachet pour exiler en Normandie et en Bretagne dix d’entre les députés. Dans cette circonstance, il faut louer sans restriction les conseils pleins de sagesse donnés par madame de Sévigné à son gendre. Elle lui recommande, dans une lettre du 1er janvier 1672, d’adoucir la rigueur des ordres, d’en suspendre l’execution jusqu’à la réponse du roi, à qui, lui disait-elle, il devrait « écrire une lettre d’un homme qui est sur les lieux. » — « Ce qu’il faut faire en général, disait-elle, c’est d’être toujours très-passionné pour le service de Sa Majesté ; mais il faut tâcher aussi de ménager un peu les cœurs des Provençaux. » Madame de Sévigné d’ailleurs, dans toutes les circonstances semblables, ne conseilla jamais d’autre politique. M. de Grignan écouta ses avis, et s’en trouva bien. En cette occasion, par exemple, quoique Colbert persistât dans sa volonté de faire exécuter les lettres de cachet et continuât d’annoncer que l’assemblée de Provence ne se réunirait pas de longtemps, le lieutenant général vint à bout de faire fléchir

  1. Voir, sur toute cette affaire, le portrait du Comte de Grignan, dans les Portraits historiques de M. Pierre Clément, Paris, 1855, et Walckenaer, IVe partie des Mémoires, P. 241 et suiv.