que dans les lieux qu’elle habitait, sans anticiper un peu sur
les temps. Nous l’avions laissée, en 1672, cherchant à persuader
inutilement à sa fille que M. de Grignan ferait bien « d’envoyer promener tous ses Provençaux, » et de venir la retrouver avec « une belle charge auprès de son maître. » Elle vit
bien qu’elle n’y réussirait pas, et elle avait hâte d’aller à ceux
qui ne voulaient pas venir à elle. Au moment où elle se préparait à partir, sa tante, la marquise de la Trousse, tomba
gravement malade. Il fallut rester pour lui donner des soins.
Rien, pas même son amour maternel, ne pouvait la faire manquer à ses devoirs envers une Coulanges. Elle passait une
grande partie de ses jours auprès d’elle et consolait la pauvre
mourante par son dévouement vraiment filial. Le mal cependant tournait en langueur, ou plutôt c’était une agonie sans fin ;
et de ce lit de mort les yeux de madame de Sévigné étaient
sans cesse tournés vers la Provence. Entre son affection dominante et le pieux office que, pleine d’une tendre pitié, elle accomplissait admirablement, elle descendait jusqu’au fond de sa
conscience avec une scrupuleuse sincérité et écrivait à sa fille :
« Ce qui me feroit souhaiter d’être en Provence, ce seroit afin
d’être affligée de la perte d’une personne qui m’a toujours été
si chère ; et je sens que, si je suis ici, la liberté qu’elle me donnera m’ôtera une partie de ma tendresse et de mon bon naturel[1]. » Ce bon naturel trouvait alors à s’exercer. La meilleure
de ses amies, madame de la Fayette, était très-souffrante dans le
même temps. Madame de Sévigné ne quittait sa tante que pour
courir au faubourg, assister l’autre chère malade. Elle avait
bien raison de trouver qu’un cœur de fer, un cœur adamantino, suivant son expression, serait d’une grande commodité.
Mais, si gênant que soit le cœur, il n’en est pas moins le plus
grand don du ciel. Elle parlait bien, quand elle le disait très-supérieur à l’esprit, elle qui avait plus d’esprit que personne.
« Vive ! comme elle s’écriait, vive ce qui vient de ce lieu ! »
Madame de la Trousse mourut le 30 juin 1672. Trois jours avant cette mort, qui lui rendait enfin la liberté de partir, madame de Sévigné, à qui sa fille avait fait de la Provence un tableau propre à la détourner du voyage en cette saison, lui
- ↑ Lettre du 23 mai 1672.