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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


que la Guitaut soit pleine de mille bonnes choses, il y a toujours la marque de l’ouvrier[1]. » Ce n’était pas seulement pour l’entretenir de ses intérêts que madame de Sévigné écrivait à madame de Guitaut. La lettre touchante où elle lui donne de grands détails sur la mort de madame de la Fayette, est de celles qu’on n’écrit qu’aux personnes qui peuvent entrer dans nos sentiments. Elle lui répète continuellement les assurances d’un goût très-vif pour elle. Les malveillants se souviendront peut-être que dans sa bouche, comme le disait madame de la Fayette, « les plus simples compliments de bienséance paraissaient des protestations, d’amitié. » Il est difficile cependant de ne pas conclure des lettres qu’elle écrivait à madame de Guitaut que celle-ci était tout à fait pour elle une amie.

Une amitié dont la sincérité et la force ne sont pas douteuses, est celle que madame de Sévigné avait pour le cardinal de Retz. Nous avons dit comment cette liaison s’était formée par la parenté du marquis de Sévigné et de Retz, et par les attachements de parti, qui engagèrent tous les Sévigné dans la Fronde. Les grandes qualités personnelles du cardinal, qu’on ne pouvait, a dit Bossuet, ni haïr ni aimer à demi, la hauteur de son âme, qui, si elle n’était pas la vraie grandeur, y ressemblait beaucoup, l’affection qu’il témoigna toujours à madame de Sévigné, celle qu’il ne cessa d’offrir en vain, mais avec persévérance, à madame de Grignan pour elle et pour ses enfants, avaient à la fois séduit une imagination éprise de l’héroïsme romanesque et gagné un cœur reconnaissant. Si madame de Sévigné n’avait fait que l’appeler le héros du bréviaire, par antithèse au héros de la guerre, ce joli mot, dit en plaisantant, et qui a été souvent mal compris, ne devrait certainement pas la faire accuser d’aveugle prévention. Mais il y a, dans beaucoup d’autres passages de ses lettres, des marques plus assurées de son admiration et de son tendre attachement pour le cardinal. Lorsqu’il se retira à Saint-Mihiel, pour y finir dans la pénitence une vie si agitée, madame de Sévigné compare presque l’adieu douloureux qu’elle lui fit à celui qu’elle vient de faire, quelques jours avant, à sa fille[2]. Que pou-

  1. Lettre du 12 octobre 1677.
  2. Lettre à madame de Grignan 19 juin 1675.