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NOTICE BIOGRAPHIQUE

Il leur sera plutôt permis de s’arrêter un moment sur ses goûts littéraires et sur ses sentiments religieux. Les uns et les autres ont aussi une grande place dans ses lettres ; et l’on ne peut, sans en dire quelques mots, essayer de peindre son esprit et son âme. D’ailleurs, quoique ceux qui la lisent avec attention et avec suite, puissent juger très-bien par eux-mêmes de ce qu’elle pensait sur ces sujets, il n’est pas inutile de rassembler des traits épars, qui s’éclaireront mieux par le rapprochement.

Dans une lettre de 1680, écrite des Rochers (c’est dans cette solitude surtout qu’elle aimait à lire), elle fait connaître sa petite bibliothèque qu’elle vient de ranger[1], « Toute une tablette, dit-elle, de dévotion, et quelle dévotion ! bon Dieu, quel point de vue pour honorer notre religion ! L’autre est toute d’histoires admirables, l’autre de poésies et de nouvelles et de mémoires. Les romans sont méprisés et ont gagné les petites armoires[2]. » Le catalogue n’est pas détaillé. Il résume bien cependant dans leur variété les goûts de madame de Sévigné. La bibliothèque de madame de Grignan ne serait pas tout à fait la même.

Il faut seulement réclamer pour ces pauvres romans, si cruellement relégués, si l’on veut bien connaître les lectures favorites de madame de Sévigné. Quand elle les exila dans les petites armoires, c’étaient de vieux amis pour qui l’âge l’avait refroidie, ou plutôt qu’elle craignait peut-être de trop aimer encore. Elle avait toujours un peu rougi de « la folie qu’elle avait pour ces sottises-la. » Mais elle s’en défendait en vain. La raison solide et le goût des livres sérieux n’avaient jamais, grâce à Dieu ! étouffé en elle la sensibilité passionnée et la vivacité d’imagination ; et c’est de cette diversité des plus beaux dons que s’est formé ce talent unique, où la force et la profondeur de la pensée et la vigueur d’une mâle éloquence s’allient souvent aux grâces charmantes de la femme. Elle

  1. Dans le Bulletin de l’Athénée du Beauvaisis (premier semestre de 1857), M. Baldy, professeur de rhétorique au collège de Beauvais, a fait sur la bibliothèque de madame de Sévigné un intéressant travail, où le sujet est traité solidement et agréablement et avec plus de détails que nous n’en pouvions admettre ici.
  2. Lettre à madame de Grignan 5 juin 1680.