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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


lui inspirer le même goût, et la plaint, en maint endroit, de ne l’avoir point. S’ennuyer des histoires ! mais l’histoire « est la subsistance de tout le monde. » Ne pouvoir lire que cinq ou six ouvrages sublimes ! c’est avoir l’esprit trop délicat et trop dégoûté. Elle regrette qu’au lieu de se récréer par ces histoires si divertissantes, madame de Grignan n’aime que des lectures qui appliquent, « des lectures trop épaisses. » Il est malheureux, lui dit-elle, « d’avoir tant d’esprit. »

Madame de Sévigné qui en avait beaucoup moins, c’est-à-dire de celui qui est exclusif et roide, se laissait charmer aussi par les poëtes. Le Tasse était un de ceux qui l’euchantaient le plus ; elle avouait son admiration pour son clinquant, en dépit de Boileau ; mais elle savait estimer à son prix l’or de Virgile ; elle aimait à le lire avec la Mousse et Corbinelli, qui lui en faisaient goûter les beautés. Je ne sais si elle s’assooiait sur Homère aux jugements peu respectueux de sa fille et de son fils ; celui-ci le donne à entendre. En tout cas, elle était excusable de le méconnaître dans les traductions, surtout dans celles de son temps. Parmi nos poëtes un de ceux qu’elle aimait le plus, dont la grâce, la finesse, la variété de tons et l’enjouement, mêlé à la sensibilité, répondaient le mieux à son goût, était la Fontaine. Il ne déroutait point d’ailleurs ce goût autant que d’autres poëtes qui avaient fait sortir l’esprit français des habitudes où l’enfance de madame de Sévigné l’avait trouvé ; car il est, parmi les écrivains du dix-septième siècle, un de ceux qui tiennent le plus encore au seizième. Aussi disait—elle : « Personne ne connoît et ne sent mieux son mérite que moi. » Elle appelait ses fables divines ; et, comme elle avait l’humeur badine, ses contes ne l’effarouchaient pas. Elle avait à son sujet aussi des lances à rompre avec sa fille ; car, malgré leur amitié, leurs goûts différaient toujours. « Ne rejetez pas si loin, lui écrivait-elle, ces derniers livres de la Fontaine ; il y a des fables qui vous raviront et des contes qui vous charmeront[1]. »

Une autre de ses plus vives admirations, une admiration de sa belle jeunesse, était Corneille. « Vive notre vieil ami Corneille ! s’écriait-elle, pardonnons-lui de méchants vers en

  1. Lettre du 6 mai 1671.