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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/202

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NOTICE BIOGRAPHIQUE


d’être subtilisée[1]. » Cette parole de tant de bon sens n’est point d’une sectaire. Nous ne trouvons pas madame de Sévigné moins sage ni moins impartiale dans cette lettre à M. de Pomponne, où elle lui raconte si plaisamment les exclamations très-diverses des sœurs de Sainte-Marie et d’Arnauld d’Andilly sur la signature donnée par la fille de celui-ci, les unes disant : « Dieu soit loué ! Dieu a touché le cœur de cette pauvre enfant ; » et l’autre : « Ce pauvre oison a signé ; Dieu l’a abandonnée. » « Je crois, dit-elle, que le milieu de ces extrémités est toujours le meilleur[2]. » Il est vrai qu’elle écrivait alors à un homme qui lui-même ne manqua jamais de sagesse ni de mesure.

Ce n’est encore là que de la modération. Mais voici madame de Sévigné vraiment insurgée contre ses amis ; c’est à propos d’une lecture qu’elle vient de faire de la Bible de Royaumont : « Je passe bien plus loin que les jésuites, et voyant les reproches d’ingratitude, les punitions horribles dont Dieu afflige son peuple, je suis persuadée que nous avons notre liberté tout entière... Les jésuites n’en disent pas encore assez, et les autres donnent sujet de murmurer contre la justice de Dieu, quand ils affaiblissent tant notre liberté[3]. » Franchement, nous craignons qu’en se piquant de passer bien plus loin que les jésuites, elle ne devienne pélagienne.

Nous ne voudrions pas dire qu’elle mît de la fantaisie dans sa religion : ses sentiments étaient trop sérieux pour qu’on l’en pût accuser ; mais elle y mettait beaucoup de son propre sens. Nous ne pensons point, par exemple encore, qu’elle eût été fort approuvée à Port-Royal, quand elle disait : « Vous aurez de la peine à nous faire entrer une éternité de supplices dans la tête, à moins que d’un ordre du roi et de la sainte Écriture la soumission n’arrive au secours[4]. »

Madame de Sévigné aime donc les hommes de Port-Royal ; elle admire l’éloquence de leurs écrits, elle vénère la sainteté de leur vie, elle goûte leur morale ; mais ce n’est pas la peut-

  1. Mémoires, tome I, p. 425.
  2. Lettre du 20 novembre 1664.
  3. Lettre à madame de Grignan, 28 août 1676.
  4. Lettre à madame de Grignan, 20 septembre 1671.