pourquoi, étant venu pour sauver tous les hommes, il en
sauve si peu et se cache pendant sa vie, et ne veut pas qu’on
le connoisse ni qu’on le suive ? je n’en sais rien ; mais ce qui
est certain, c’est que, puisqu’il l’a voulu ainsi, cela est fort
bien[1]. » En définitive tant de passages (et l’on en pourrait
citer bien d’autres), tant de passages, disons-nous, où nous ne
prétendons pas d’ailleurs découvrir l’hérésie janséniste ne
laissent pas douter, malgré quelques boutades qui semblent
les contredire que madame de Sévigné ne fût imbue fortement des sentiments de Port-Royal. Les contradictions s’expliquent aisément dans une imagination mobile et dans un
esprit de bonne-foi, exempt de tout fanatique entêtement. Le
penchant vers les erreurs qu’elle avait puisées dans saint Augustin, comme elle le dit plaisamment, ne peut pas être nié.
Que ce fût là un simple jeu de son esprit, un prétexte à causer
avec sa fille et à animer l’entretien, le plus récent et très-spirituel historien de Port-Royal l’a pu donner à entendre[2],
mais il aura quelque peine à nous le faire croire. Nous admettrions seulement que chez les brillants causeurs, comme madame de Sévigné, il y a toujours l’entraînement de la parole
ou de la plume, et que le charme de la discussion les fait souvent aller au delà de leur pensée. Mais il paraît trop de sincérité dans les sentiments religieux de madame de Sévigné,
pour n’y voir qu’un thème aux riches variations de son style.
Son esprit, nourri de la lecture de ces Messieurs, était sérieu-
- ↑ Lettre à madame de Grignan, 17 juillet 1680.
- ↑ Voir Port-Royal, par Sainte-Beuve, tome IV, p. 357, 358. Pendant qu’il était en train de ne pas prendre plus au sérieux le port-royalisme de madame de Sévigné, le même auteur aurait pu lui appliquer ce qu’il dit de madame de Longueville (ibid., p. 518) : « Elle se prenait à la grande et haute distinction du moment... à une religion de première qualité. » Quelques personnes pensent aussi que le côté frondeur du jansénisme, ce qui, dans Port-Royal, sentait le parti, la cabale, et, comme disait l’archevêque de Paris de Harlay, le ralliement, devait avoir un attrait particulier pour madame de Sévigné, et avait contribué peut-être à fixer ses convictions. Sans nier qu’il ne puisse y avoir, dans chacune de ces explications malicieuses, une petite part de la vérité, nous croyons que, même réunies toutes ensemble, elles n’en contiennent que la moindre part.