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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


la générosité de rien retrancher[1]. » Ses conjectures cependant allèrent heureusement au delà de la vérité. Dans la profonde misère où était plongée la Bretagne le retranchement était nécessaire, et il eut lieu.

Non-seulement la députation n’avait obtenu aucune remise sur le don de trois millions, mais elle revenait encore avec une triste nouvelle. Elle avait été chargée, non de remercier le roi d’avoir mis des troupes en quartier d’hiver dans la Bretagne, mais de lui représenter que c’était une mesure contraire aux franchises de la province. Rien en effet n’indignait plus les Bretons que ces huit mille hommes qui leur avaient été envoyés, « nonobstant, disait madame de Sévigné, notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII. » M. de Pommereuil avait l’inspection de ces troupes. C’était un des amis de madame de Sévigné, qui ne trouvait pas la chose meilleure pour cela. Les députés furent obligés d’annoncer que les représentations n’avaient pas été écoutées. Le duc de Chaulnes fit savoir, le 10 décembre 1675, aux états, qu’il avait reçu une lettre de Sa Majesté « par laquelle elle l’assuroit que ce qu’elle avoit fait étoit par nécessité, se trouvant chargée d’une infinité de troupes qu’elle avoit été obligée de distribuer dans les provinces ; que cela ne tireroit à conséquence, et que Sa Majesté conserveroit toujours les privilèges de la province[2]. » Cette lettre dérisoire a été sévèrement et justement flagellée par madame de Sévigné sur le dos d’un des trois députés, l’évêque de Saint-Malo, qui avait le premier, avant la communication du gouverneur, expliqué les gracieuses intentions du bon maître : « M. de Saint-Malo, qui est Guémadeuc, votre parent, et sur le tout une linotte mitrée, a paru aux états, transporté et plein des bontés du roi, et surtout des honnêtetés particulières qu’il a eues pour lui, sans faire attention à la ruine de la province qu’il a apportée agréablement avec lui : ce style est d’un bon goût à des gens pleins de leur côté du mauvais état de leurs affaires. Il dit que Sa Majesté est contente de la Bretagne et de son présent, qu’elle a oublié le passé, et que c’est par confiance qu’on envoie ici huit mille

  1. Lettre du 27 novembre 1675.
  2. Walckenaer, Ve partie des Mémoires, p. 180.