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NOTICE BIOGRAPHIQUE


d’une place à la cour, beaucoup moins vive que celle de madame de Sévigné. Ils lui faisaient perdre patience en ne voulant voir dans le crédit du chevalier qu’une belle mais lointaine chance d’avenir pour le petit marquis. Elle leur demandait pourquoi ils se regardaient comme des gens nécessairement éconduits et hors de toute espérance. À la modeste abnégation de madame de Grignan elle répondait : « Je ne vous trouve pas plus raisonnable que votre frère, ni vos choux meilleurs que les siens[1]. »

Les choux de madame de Grignan avaient été jusque-là d’une culture un peu chère. Ses dépenses à Aix, pendant l’hiver précédent, avaient été si énormes, qu’elle se voyait, en 1680, obligée à six mois de sévère retraite. Tout était à sec jusqu’au mois de janvier. Dans le mécontentement que cette gêne lui causait, elle se plaignait de n’être pas restée à Paris, et s’en prenait à sa mère, qu’elle accusait d’avoir été du nombre de ceux qui souhaitaient son départ[2]. Si elle avait en effet amené une mère si tendre à désirer qu’elle s’éloignât, sur qui devait tomber le reproche ? L’accusation était d’ailleurs invraisemblable, et madame de Sévigné la repoussait de toutes ses forces. Quoi qu’il en soit, ce que madame de Grignan ne pouvait imputer qu’à elle-même, c’était « cette magnificence, ce grand air, ces grands repas[3], » dont tout le monde à Aix avait été étonné. Elle se défendait, il est vrai, contre les observations que sa mère lui adressait à ce sujet, et réclamait pour la frugalité de ses repas. Mais madame de Sévigné lui répondait avec malice : « Vous avez un si grand air que vous trompez les yeux ; car votre intendant jure qu’on ne peut pas faire une meilleure chère, ni plus grande, ni plus polie ; » et, rappelant ce dont elle avait été elle-même témoin, elle ajoutait : « C’est une chose étrange que cinquante domestiques ; nous avons eu peine à les compter. Pour Grignan, je ne comprends jamais comment vous y pouvez souhaiter d’autre monde que votre famille. Vous savez bien que quand nous étions seules, nous étions cent dans votre château[4]. » Vers la fin de cet hiver ruineux, ou M. et madame de Grignan avaient aggravé leurs folies fastueuses par les folies du jeu,

  1. Lettre du 13 mars 1680.
  2. Lettres du 6 et 12 mai 1680.
  3. Lettre du 17 mai 1680.
  4. Lettre du 17 mai 1680.