misères de ce pays, ce qu’on m’y doit, la manière dont on me
paye, ce que je dois ailleurs, et de quelle façon je me serois
laissé surmonter et suffoquer par mes affaires, si je n’avois pris,
avec une peine infinie, cette résolution. Vous savez que depuis
deux ans je la diffère avec plaisir... mais, ma chère bonne, il
y a des extrémités où l’on romproit tout, si l’on vouloit se roidir contre la nécessité... Le bien que je possède n’est plus à
moi ; il faut finir avec le même honneur et la même probité dont
on a fait profession toute sa vie. Voilà ce qui m’a arrachée, ma
bonne, d’entre vos bras pour quelque temps ; vous savez avec
quelles douleurs[1] ! » Mais de si justes motifs rassuraient à peine
sa conscience ; il lui semblait toujours qu’en ne mettant pas
à profit tout le temps où la destinée lui laissait sa fille, elle avait
agi avec cruauté ; et se souvenant plus tard de ce voyage de Bretagne, elle disait : « J’en fus bien punie par être noyée et un an
mal à la jambe. » Ce furent là, en effet, les mésaventures du
long séjour qu’elle fit aux Rochers. L’une d’elles pouvait être
proportionnée au crime ; car elle ne fut pas bien grave. Au mois
de juillet 1685, en revenant d’un petit voyage à Dol, où elle avait
été faire visite au duc et a la duchesse de Chaulnes, madame de
Sévigné versa deux fois dans un étang avec le petit Coulanges, qui la tira promptement d’affaire, sans qu’elle eût été
mouillée, assurait-il[2]. Le mal à la jambe ne fut point une aussi
petite affaire. Il dura plusieurs mois et causa de vives inquiétudes à tous ceux qui aimaient madame de Sévigné ; elle commence à en parler dans une lettre du 28 janvier 1685, mais
comme d’un mal qui n’était pas nouveau et qui reparaissait ; et
ce fut seulement quand elle quitta la Bretagne, au mois de septembre suivant, qu’elle parut à peu près guérie. Elle n’avait cependant cessé, pendant tout ce temps, d’annoncer chaque jour
cette guérison, soit illusion véritable, soit complaisance pour
sa fille qu’elle voulait rassurer. L’opiniâtreté du mal fut probablement encouragée par le traitement. Elle avouait que si les
chirurgiens entendaient parler des remèdes qu’elle faisait, ils
pourraient bien pâmer de rire. Il est de fait que les médecins
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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.