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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


avait recommandé qu’elle en fît usage si son frère élevait quelque prétention contre elle. Le Camus expliqua au marquis de Sévigné les intentions de sa mère, et sur-le-champ obtint un acte de soumission. Sévigné écrivit à sa sœur une admirable lettre qui le fait mieux connaître que tout ce que nous avons pu dire, et dont il faut citer les principaux passages, parce qu’ils jettent un grand jour sur la partie la plus intime de cette histoire : « Ma mère m’a toujours fait un secret sur ce qui s’étoit passé entre vous, depuis l’accommodement qu’elle eut la bonté de faire en faveur de mon mariage. Je n’ai jamais été bien connu d’elle à ce sujet : elle m’a quelquefois soupçonné d’intérêt et de jalousie contre vous pour toutes les marques d’amitié qu’elle vous a données. J’ai présentement le plaisir de donner des preuves authentiques des véritables sentiments de mon cœur. M. le lieutenant civil a été témoin des premiers mouvements, qui sont toujours les plus naturels. Je suis très-content de ce que ma mère a fait pour moi pendant que j’étois dans la gendarmerie et à la cour ; j’ai encore devant les yeux tout ce qu’elle a fait pour mon mariage, auquel je dois tout le bonheur de ma vie. Je vois toutes les obligations longues et solides que nous lui avons ; ce sont là les mêmes paroles dont vous vous servez dans votre lettre ; tout le reste ne m’a jamais donné la moindre émotion. Quand il seroit vrai qu’il y auroit eu dans son cœur quelque chose de plus tendre pour vous que pour moi, croyez-vous, en bonne foi, ma très-chère sœur, que je puisse trouver mauvais qu’on vous trouve plus aimable que moi ? et ma fortune, soit faute de bonheur, soit faute de mérite, s’est-elle tournée de manière à bien encourager à me faire des biens de surérogation ? Jouissez tranquillement de ce que vous tenez de la bonté et de l’amitié de ma mère. Quand j’y pourrois donner atteinte, ce qui me fait horreur à penser, et que j’en aurois des moyens aussi présents qu’ils seroient difficiles à trouver, je me regarderois comme un monstre si j’en pouvois avoir la moindre intention. Les trois quarts de ma course, pour le moins, sont passés ; je n’ai point d’enfants, et vous m’en avez fait que j’aime tendrement... Je ne souhaite pas d’avoir plus que je n’ai... Si je pouvois souhaiter d’être plus riche, ce seroit par rapport à vous et à vos enfants. Nous ne nous battrons jamais qu’à force