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NOTICE BIOGRAPHIQUE


dire qu’il avait été fait maréchal de France, parce qu’il avait de la qualité, la barbe noire comme le roi son maître, et qu’il avait de la familiarité avec lui. Il était joli mon père ! » Une autre fois elle écrit à sa fille : « Vous apostrophez l’âme de mon pauvre père, pour vous faire raison de la patience de quelques courtisans. Dieu veuille qu’il ne soit pas puni d’avoir été d’un caractère si opposé[1] ! »

De tels hommes ne sauraient manquer de se faire dans les cours de puissants ennemis. Surtout ce ne sont pas les Richelieu ni les Louis XIV qui peuvent goûter les Rabutin. Chantal avait donné au terrible ministre de Louis XIII toutes sortes de raisons de le haïr. Il était lié d’amitié avec Chalais. Ces deux jeunes hommes à tête légère étaient faits pour s’entendre. Il est très possible, quoique Bussy ne le dise pas positivement, que Chantal soit entré dans les complots qui firent tomber en 1626 la tête de son imprudent ami. Il avait aussi de grandes liaisons avec le marquis de Toiras, qui n’était pas non plus dans les bonnes grâces de Richelieu. Celui-ci représenta au roi l’ami de Chalais et de Toiras comme un homme dangereux qui ne connaissait aucun respect et se moquait de tout le monde. Louis XIII, quoique Chantal lui eût toujours plu, finit par lui témoigner beaucoup de froideur. Chantal se sentit disgracié et perdu. C’était le sort réservé à tous ceux pour qui le roi avait quelque inclination naturelle. La terrible catastrophe de son ami Bouteville lui porta un dernier coup. Le 12 mai 1627 avait eu lieu sur la place Royale ce malheureux duel de Bouteville contre Beuvron, où Bussy d’Amboise fut tué par des Chappelles, second de Bouteville. Ce fut au logis de Chantal, voisin du lieu du combat, que Bouteville se retira. Il y monta à cheval et prit la fuite[2]. On sait qu’arrêté à Vitry-le-Brûlé avec des Chappelles, il eut la tête tranchée. Dans l’arrêt de mort que le parlement rendit contre lui, le 21 juin 1627, le duel du jour de Pâques est rappelé : souvenir lugubre pour Chantal, qui lisait son nom dans la sentence de mort de son ami. La douleur dans l’âme, il s’éloigna de la cour et alla dans l’île de Ré rejoindre Toiras, qui en était gouverneur. Il y avait là des

  1. Lettre du 13 décembre 1684.
  2. Mercure français, tome XIII, p. 407.