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1664 rende ; je l’ai lu brusquement. — Non, Monsieur le maréchal : les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. » Le Roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l’on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrois que le Roi en fît là-dessus, et qu’il jugeât par là combien il est loin de connoître jamais la vérité.

Nous sommes sur le point d’en voir une bien cruelle, qui est le rachat de nos rentes sur un pied qui nous envoie droit à l’hôpital. L’émotion est grande, mais la dureté l’est encore plus[1]. Ne trouvez-vous point que c’est entreprendre bien des choses à la fois ? Celle qui me touche le plus n’est pas celle qui me fait perdre une partie de mon bien.


Mardi 2e décembre.

Notre cher et malheureux ami a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement bien, que plusieurs n’ont pu s’empêcher de l’admirer. M. Renard[2] entre autres a dit : « Il faut avouer que cet homme est incomparable ; il n’a jamais si bien parlé dans le parlement[3], il se possède mieux qu’il n’a jamais fait. » C’étoit encore sur les six millions et sur ses dépenses[4]. Il n’y a rien d’admirable

  1. Un quartier des rentes constituées sur l’Hôtel de ville fut supprimé en 1664. On connaît le début de la Satire III de Boileau, qui fut composée en 1665 et publiée en 1666 :

    D’où vous vient aujourd’hui cet air sombre et sévère,
    Et ce visage enfin plus pâle qu’un rentier
    À l’aspect d’un arrêt qui retranche un quartier ?


  2. Conseiller de grand’chambre, membre de la commission. Il opina au bannissement de Foucquet et à la confiscation de ses biens.
  3. Foucquet avait été procureur général au parlement de Paris.
  4. « Le fort de l’interrogatoire fut sur le péculat, savoir l’emploi des six millions, sur le marc d’or, sur le traité des sucres de Nor-