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1664 comme on me l’avoit dit[1] ; mais la même personne s’en est mieux souvenue, et me l’a redit ainsi. Tout le monde en a été instruit par plusieurs juges. Après que M. Foucquet eut dit que le seul effet qu’on pouvoit tirer du projet, c’étoit de lui avoir donné la confusion de l’entendre, M. le chancelier lui dit : « Vous ne pouvez pas dire que ce ne soit là un crime d’État. » Il répondit : « Je confesse, Monsieur, que c’est une folie et une extravagance, mais non pas un crime d’État. Je supplie ces Messieurs, dit-il se tournant vers les juges, de trouver bon que j’explique ce que c’est qu’un crime d’État : ce n’est pas qu’ils ne soient plus habiles que moi, mais j’ai eu plus de loisir qu’eux pour l’examiner. Un crime d’État, c’est quand on est dans une charge principale, qu’on a le secret du prince, et que tout d’un coup on se met à la tête du conseil de ses ennemis ; qu’on engage toute sa famille dans les mêmes intérêts ; qu’on fait ouvrir les portes des villes dont on est gouverneur à l’armée des ennemis, et qu’on les ferme à son véritable maître ; qu’on porte dans le parti tous les secrets de l’État : voilà, messieurs, ce qui s’appelle un crime d’État. » M. le chancelier ne savoit où se mettre, et tous les juges avoient fort envie de rire. Voilà au vrai comme la chose se passa. Vous m’avouerez qu’il n’y a rien de plus spirituel, de plus délicat, et même de plus plaisant.

Toute la France a su et admiré cette réponse. Ensuite il se défendit en détail, et dit ce que je vous ai mandé. J’aurois eu sur le cœur que vous n’eussiez point su cet endroit comme il est : notre cher ami y auroit beaucoup perdu. Ce matin, M. d’Ormesson a commencé à récapituler toute l’affaire ; il a fort bien parlé et fort nette-

  1. Voyez la lettre précédente, p. 460.