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1664 lères. Mmes Foucquet ont obtenu une copie de cette déposition, qu’elles présenteront demain à la chambre. Peut-être qu’on ne la recevra pas, parce qu’on est aux opinions ; mais elles peuvent le dire ; et comme ce bruit est répandu, il doit faire un grand effet dans l’esprit des juges. N’est-il pas vrai que tout ceci est assez extraordinaire ?

Il faut que je vous conte encore une action héroïque de Masnau[1]. Il étoit malade à, mourir, il y a huit jours, d’une colique néphrétique ; il prit plusieurs remèdes, et se fit saigner à minuit. Le lendemain, à sept heures, il se fit traîner à la chambre de justice, il y souffrit des douleurs inconcevables. M. le chancelier le vit pâlir, il lui dit : « Monsieur, vous n’en pouvez plus, retirez-vous. » Il lui répondit : « Monsieur, il est vrai, mais il faut mourir ici. » M. le chancelier, le voyant quasi s’évanouir, lui dit, le voyant s’opiniâtrer : « Eh bien, Monsieur, nous vous attendrons. » Sur cela il sortit pour un quart d’heure, et dans ce temps il fit deux pierres d’une grosseur si considérable, qu’en vérité cela pourroit passer pour un miracle, si les hommes étoient dignes que Dieu en voulut faire. Ce bonhomme rentra gai et gaillard, et en vérité chacun fut surpris de cette aventure.

Voilà tout ce que je sais. Tout le monde s’intéresse dans cette grande affaire. On ne parle d’autre chose ; on raisonne, on tire des conséquences, on compte sur ses doigts ; on s’attendrit, on espère, on craint, on peste, on souhaite, on hait, on admire, on est triste, on est accablé : enfin, mon pauvre Monsieur, c’est une chose extraordinaire que l’état où l’on est présentement ; mais c’est une chose divine que la résignation et la fermeté de notre cher malheureux. Il sait tous les jours ce qui se passe, et tous

  1. Masnau, ou Maseneau, conseiller au parlement de Metz.