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près de vous, et que vous me vinssiez conter ces lanternes. C’est ma grande douleur : c’est de m’être remise avec vous de bonne foi, pendant que vous m’aviez livrée entre les mains des brigands, c’est-à-dire de Mme de la Baume ; et vous savez bien même qu’après notre paix vous eûtes besoin d’argent ; je vous donnai une procuration pour en emprunter, et n’en ayant pu trouver, je vous fis prêter sur mon billet deux cents pistoles de M. le Maigre[1], que vous lui avez bien rendues. Quant à ce que vous dites, que d’abord que j’eus vu mon portrait, je vous revis, et ne parus point en colère, ne vous y trompez pas, Monsieur le Comte, j’étois outrée ; j’en passois les nuits entières sans dormir. Il est vrai que, soit que je vous visse accablé d’affaires plus importantes que celles-là, soit que j’espérasse que la chose ne deviendroit pas publique, je n’éclatai point en reproches contre vous. Mais quand je me vis donnée au public, et répandue dans les provinces, je vous avoue que je fus au désespoir, et que ne vous voyant plus pour réveiller mes foiblesses, et mes anciennes tendresses pour vous, je m’abandonnai à une sécheresse de cœur qui ne me permit pas de faire autre chose pendant votre prison que ce que je fis : je trouvois encore que c’étoit beaucoup. Quand vous sortîtes, vous me l’envoyâtes dire avec confiance ; cela me toucha : bon sang ne peut mentir ; le temps avoit un peu adouci ma première douleur ; vous savez le reste. Je ne vous dis point maintenant comment vous êtes avec moi ; le monde me jetteroit des pierres, si je faisois de plus grandes démonstrations. Je voudrois

  1. C’était en 1663, au moment où Bussy partait pour le siège de Marsal. Deux cents pistoles font deux mille francs. Bussy, dans ses Mémoires (tome II, p. 143), dit qu’il trouva quatre mille francs dans la bourse de sa cousine. — M. le Maigre serait-il le mari ou un allié de cette dame le Maigre, chez qui, comme il est dit dans la Notice (p. 149), Corbinelli présidait ?