Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
NOTICE BIOGRAPHIQUE


pour goûter, et auxquels on se livrait alors avec une ardeur passionnée. C’était, comme le dit Saint-Évremond,


Le temps de la bonne régence,
Temps où la ville aussi bien que la cour,
Ne respirait que les jeux et l’amour ;


ou, si l’on aime mieux la prose de Saint-Simon, « c’était le temps de la belle conversation, de la belle galanterie, en un mot de ce qu’on appelait les ruelles[1]. » Dans un tel milieu seulement pouvait se former le talent de madame de Sévigné, chef-d’œuvre d’un monde élégant et poli. Ce talent est, dans toute la littérature, celui qui tient de plus près à l’esprit de conversation : or madame de Sévigné entra dans le monde justement quand l’état des mœurs et de la langue se trouva, en France, le plus favorable à l’agrément et à la délicatesse des entretiens, quand les cercles attachèrent plus de prix que jamais à bien causer, et s’appliquèrent même à en faire un art. Un art ! c’était un danger. Pour qu’il ne devînt pas trop étudié, qu’il ne tombât pas dans la recherche, quel goût juste eût toujours été nécessaire ! Il y avait principalement alors une réunion restée célèbre dans l’histoire de notre littérature et de nos mœurs, et où madame de Sévigné prit en quelque sorte ses premières leçons. C’étaient les cabinets de l’incomparable Arthénice, ces chambres où se rassemblaient tant de beaux esprits, à côté des plus illustres personnages de la cour, cet hôtel de Rambouillet, dont madame de Sévigné a dit qu’il était « le Louvre, avant que madame Montausier fût au Louvre. » Dans cette véritable cour, madame de Sévigné rencontrait habituellement les femmes les plus brillantes et les plus spirituelles de cette époque : la duchesse de Longueville, la marquise de Sablé, madame du Plessis—Guénégaud, qui plus tard devait, à l’hôtel de Nevers et dans son château de Fresnes, présider elle-même à des réunions si choisies, madame Cornuel, dont chaque mot était une piquante saillie ; et les littérateurs alors les plus renommés, Corneille, Segrais, Balzac, Voiture, Sarrazin, Scudéry, Benserade. Elle y trouvait encore ses deux maîtres, Chapelain et Ménage ; Saint-Pavin, son aimable voisin de Livry ; le

  1. Mémoires, tome XIII, p. 18.