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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


mait « les grands capitaines ; » de même que par « les princes du sang » il désignait Conti. En effet, Armand de Bourbon, prince de Conti, que Bussy, dans ses Mémoires, a peint comme un prince accompli, à sa bosse près, « ayant la tête fort belle, tant pour le visage que pour les cheveux, doué d’un esprit vif, net, gai et enclin à la raillerie, » fut un de ceux qui conçurent l’espoir de faire tomber madame de Sévigné dans leurs pièges. Ce bizarre cadet du grand Condé, protecteur de Molière et amateur de la comédie, contre laquelle il a fulminé cependant avec le rigorisme de Bossuet, a eu tour à tour, dans sa vie, jusqu’à l’heure du moins de sa conversion définitive, deux visages qu’il quittait et reprenait l’un pour l’autre de temps en temps, l’un très-dévot, l’autre jovial et libertin. Ce n’était pas le plus ascétique des deux qu’il portait, lorsque peu de mois après avoir fait le vœu d’entrer dans la Société de Jésus et de garder une perpétuelle chasteté, il rencontra madame de Sévigné chez madame de Montausier dans l’hiver de 1653-1654, et essaya auprès d’elle le rôle de séducteur. Étant encore dans cette mauvaise disposition, malgré son mariage tout récent avec la vertueuse Anne Martinozzi, il emmena avec lui Bussy en Catalogne, le prit en grande amitié, et s’amusa avec son cher Templier, comme il l’appelait, à faire la revue du pays de Braquerie, c’est-à-dire du pays galant. Dans leur Carte géographique de la cour, où ils auraient été dignes de trouver place tous deux au couchant, parmi les Ruffiens, ils eurent le mauvais goût et l’injustice (nous voudrions croire que la collaboration de Bussy ne s’étendit pas jusque-là) de mêler le nom de madame de Sévigné à ceux de femmes décriées et de lui imputer des faiblesses dont, mieux que personne, ils la savaient exempte. En général ce n’est pas ce moment-là qu’il faut prendre pour voir Bussy à son avantage. Cette faveur d’un prince et d’un général en chef à laquelle il n’était pas habitué, et qu’il rencontra un instant auprès de Conti, n’a pas laissé dans sa vie une trace fort honorable. Il paraît vraiment trop ami de Son Altesse, quand il se charge d’apprendre à sa cousine que le prince « la trouve fort aimable, et lui en dira deux mots cet hiver. » Il ajoutait : « De la manière qu’il m’en a parlé, je vois bien que je suis désigné confident… Si, après tout ce que la fortune vous veut