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1671


m’en vais écrire à Vivonne[1] pour un capitaine bohème, afin qu’il lui relâche un peu ses fers, pourvu que cela ne soit point contre le service du Roi. Il y avoit parmi nos bohèmes, dont je vous parlois l’autre jour[2], une jeune fille qui danse très-bien, et qui me fit extrêmement souvenir de votre danse : je la pris en amitié ; elle me pria d’écrire en Provence pour son grand-père, qui est à Marseille. « Et où est-il votre grand-père ? — Il est à Marseille, » d’un ton doux, comme si elle disoit, il est à Vincennes, C’étoit un capitaine bohème d’un mérite singulier ; de sorte que je lui promis d’écrire, et je me suis avisée tout d’un coup d’écrire à Vivonne. Voilà ma lettre ; si vous n’êtes pas en état que je puisse rire avec lui, vous la brûlerez ; si vous la trouvez mauvaise, vous la brûlerez encore ; si vous êtes assez bien avec ce gros crevé, et que ma lettre vous en épargne une autre, vous la ferez cacheter, et vous la lui ferez tenir. Je ne puis refuser cette prière au ton de la petite fille, et au menuet le mieux dansé que j’aie vu depuis ceux de Mademoiselle de Sévigné : c’est votre même air ; elle est de votre taille, elle a de belles dents et de beaux yeux.

Voici une lettre d’une telle longueur, que je vous pardonne de ne la point achever : je le comprendrai plus aisément que de demeurer au septième tome de Cassandre et de Cléopatre[3]. Je vous embrasse très-tendrement. M. de Grignan est bien loin de comprendre qu’on puisse lire des lettres de cette longueur ; mais, tout de bon, les lisez-vous en un jour ?


  1. 18. Vivonne était, comme nous l’avons dit, général des galères.
  2. 19. Dans la lettre du 24 juin 1671, p. 255.
  3. 20. Deux romans de la Calprenède. Cassandre fut publiée en 10 volumes, Cléopatre en 12 volumes (23 tomes).