Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 277 —

1671


propos de Pascal, je suis en fantaisie d’admirer l’honnêteté de ces messieurs les postillons, qui sont incessamment sur les chemins pour porter et reporter nos lettres ; enfin, il n’y a jour dans la semaine qu’ils n’en portent quelqu’une à vous et à moi ; il y en a toujours et à toutes les heures par la campagne : les honnêtes gens ! qu’ils sont obligeants ! et que c’est une belle invention que la poste, et un bel effet de la Providence que la cupidité[1] ! J’ai quelquefois envie de leur écrire pour leur témoigner ma reconnoissance, et je crois que je l’aurois déjà fait, sans que je me souviens de ce chapitre de Pascal, et qu’ils ont peut-être envie de me remercier de ce que j’écris, comme j’ai envie de les remercier de ce qu’ils portent mes lettres : voilà une belle digression.

Je reviens à nos lectures, et sans préjudice de Cléopatre que j’ai gagé d’achever : vous savez comme je soutiens mes gageures. Je songe quelquefois d’où vient la folie que j’ai pour ces sottises-là ; j’ai peine à le comprendre. Vous vous souvenez peut-être assez de moi pour savoir que je suis assez blessée des méchants styles ; j’ai quelque lumière pour les bons, et personne n’est plus touchée que moi des charmes de l’éloquence. Le style de la Calprenède est maudit en mille endroits : de grandes périodes de roman, de méchants mots, je sens tout cela. J’écrivis l’autre jour une lettre à mon fils de ce style, qui étoit fort plaisante. Je trouve donc qu’il est détestable, et je ne laisse pas de m’y prendre comme à de la glu. La beauté des sentiments, la violence des passions, la grandeur des événements, et le succès miraculeux de leur redoutable épée, tout cela m’entraîne comme une petite fille : j’entre dans leurs affaires ; et si je n’avois M. de la Rochefoucauld et

  1. 2. Voyez la lettre du 4 novembre suivant, où Mme de Sévigné revient sur cette idée.