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assez de mérite pour en donner libéralement. Quoi qu’il en soit, vous mettez à propos vos réflexions en usage. Ce que vous dites sur les inquiétudes que nous avons si souvent et si naturellement sur l’avenir, et comme insensiblement notre inclination se change et s’accommode à la nécessité, est la juste matière d’un livre comme celui de Pascal. Rien n’est si solide, rien n’est si utile que ces sortes de méditations : et qui sont les personnes de votre âge qui en sachent faire ? Je n’en connois point. Vous avez un fonds de raison et de courage que j’honore ; pour moi, je n’en ai point tant, surtout quand mon cœur prend le soin de m’affliger. Mes paroles sont assez bonnes ; je les range comme ceux qui disent bien ; mais la tendresse de mes sentiments me tue. Par exemple, je n’ai point été trompée dans les douleurs d’être séparée de vous : je les ai imaginées comme je les sens ; j’ai compris que rien ne me rempliroit votre place, que votre souvenir me seroit toujours sensible au cœur ; que je m’ennuierois de votre absence, que je serois en peine de votre santé, que jour et nuit je serois occupée de vous. Je sens tout cela comme je l’avois prévu. Il y a plusieurs endroits sur lesquels je n’ai pas la force d’appuyer : toute ma pensée glisse sur cela, comme vous dites si bien ; et je n’ai point trouvé que le proverbe fût vrai pour moi, d'avoir la robe selon le froid : je n’ai point de robe pour ce froid-là. Mais cependant je m’amuse, et le temps passe toujours ; et ce fait particulier n’empêche pas la règle générale qui est toujours vraie, et qui le sera toujours. Nous craignons quasi toujours des maux qui perdent ce nom par le changement de nos pensées et de nos inclinations. Je prie Dieu qu’il vous conserve votre bon esprit. Vous me voulez aimer, et pour vous, et pour votre enfant : eh ! ma bonne, n’entreprenez point tant de choses. Quand vous pourriez atteindre à m’aimer autant que je vous aime,