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qu’elle vouloit se marier. Elle me conta une conversation mot à mot qu’elle avoit eue avec le Roi ; elle me parut transportée de joie de faire un homme bienheureux ; elle me parla avec tendresse du mérite et de la reconnoissance de M. de Lauzun ; et sur tout cela je lui dis : « Mon Dieu, Mademoiselle, vous voilà bien contente ; mais que n’avez-vous donc fini promptement cette affaire dès le lundi ? Savez-vous bien qu’un si grand retardement donne le temps à tout le royaume de parler, et que c’est tenter Dieu et le Roi que de vouloir conduire si loin une affaire si extraordinaire ? » Elle me dit que j’avois raison ; mais elle étoit si pleine de confiance, que ce discours ne lui fit alors qu’une légère impression. Elle retourna sur la maison et sur les bonnes qualités de M. de Lauzun. Je lui dis ces vers de Sévère dans Polyeucte :

Du moins ne la peut-on blâmer d’un mauvais choix :
Polyeucte a du nom, et sort du sang des rois[1].

Elle m’embrassa fort. Cette conversation dura une heure : il est impossible de la redire toute ; mais j’avois été assurément fort agréable durant ce temps, et je le puis dire sans vanité, car elle étoit aise de parler à quelqu’un : son cœur étoit trop plein. À dix heures, elle se donna au reste de la France, qui venoit lui faire sur cela son compliment. Elle attendoit tout le matin des nouvelles, et n’en eut point. L’après-dînée, elle s’amusa à faire ajuster elle-même l’appartement de M. de Montpensier. Le soir, vous savez ce qui arriva. Le lendemain, qui étoit

  1. 3. Acte II, scène i. Il y a dans Corneille :

    Je ne la puis du moins blâmer d’un mauvais choix.

    Mademoiselle dit dans ses Mémoires (tome IV, p. 213) que c’était la chimère de la maison de Caumont, dont Lauzun était cadet, de vouloir descendre des rois d’Écosse.