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moi en vue. Il dit que l’éloquence et la facilité de parler donnent un certain éclat[1] aux pensées : cette expression m’a paru belle et nouvelle ; le mot d’éclat est bien placé, ne le trouvez-vous pas ? Il faut que nous relisions ce livre à Grignan ; si j’étois votre garde pendant votre couche, ce seroit notre fait : hélas ! que puis-je vous faire de si loin ? Je fais dire tous les jours la messe pour vous ; voilà mon emploi, et d’avoir bien des inquiétudes qui ne vous serviront de rien, mais qu’il est impossible de n’avoir pas.

Cependant j’ai dix ou douze charpentiers en l’air, qui lèvent ma charpente[2], qui courent sur les solives, qui ne tiennent à rien, qui sont à tout moment sur le point de se rompre le cou, qui me font mal au dos à force de leur aider d’en bas. On songe à ce bel effet de la Providence que fait la cupidité ; et l’on remercie Dieu qu’il y ait des hommes qui pour douze sous veuillent bien faire ce que d’autres ne feroient pas pour cent mille écus. « Ô trop heureux ceux qui plantent des choux ! quand ils ont un pied à terre, l’autre n’en est pas loin. » Je tiens ceci d’un bon auteur[3].

Nous avons aussi des planteurs qui font des allées nouvelles, et dont je tiens moi-même les arbres, quand il ne pleut pas à verse ; mais le temps nous désole, et fait qu’on souhaiteroit un sylphe pour nous porter à Paris. Mme de la Fayette me mande que, puisque vous me mandez sérieusement l’histoire d’Auger, elle est persua-

  1. 6. Au chapitre v de la seconde partie du traité cité plus haut : « La facilité qu’ils ont à parler donne un certain éclat à leurs pensées, quoique fausses, qui les éblouit eux-mêmes. »
  2. 7. « Qui élèvent la charpente de ma chapelle. » (Édition de 1734.)
  3. 8. Rabelais. Voyez, au chapitre xviii du livre IV du Pantagruel, le commencement des lamentations de Panurge pendant la tempête : « Ô que trois et quatre fois heureux sont ceux qui plantent choux ! … Car ils ont toujours en terre un pied : l’autre n’en est pas loin. »