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Voilà donc votre carnaval échappé de la fureur des réjouissances publiques. Sauvez-vous aussi de l’air de la petite vérole : je la crains pour vous beaucoup plus que vous. Nous avons ici Mme de la Troche. Il est vrai qu’elle sait arriver à Paris : son arrivée de l’année passée fut bien abîmée à mon égard, dans l’extrême douleur de vous perdre. Depuis ce temps, ma chère enfant, vous êtes arrivée partout, comme vous dites ; mais point du tout à Paris. Vos réflexions sur l’espérance sont divines. Si Bourdelot[1] les avoit faites, tout l’univers le sauroit ; vous ne faites pas tant de bruit pour faire des merveilles : le malheur du bonheur est tellement bien dit, qu’on ne peut trop aimer une plume qui dit ces choses-là. Vous dites tout sur l’espérance, et je suis si fort de votre avis, que je ne sais si je dois aller en Provence, tant j’ai de crainte d’en repartir. Je vois déjà comme le temps galopera ; je connois ses manières ; mais ensuite de cette belle réflexion, mon cœur décide comme le vôtre, et je ne souhaite rien tant que de partir. Je veux même espérer qu’il peut arriver de telles choses, que je vous ramènerai avec moi. C’est là-dessus qu’il est difficile de parler de si loin. Du moins, ma fille, il ne tiendra pas à une maison et à des meubles. — Je ne songe qu’à vous : les pas que je fais pour vous sont les premiers ; les autres viennent après comme ils peuvent.

J’ai donné vos lettres au faubourg. Elles sont bien faites : on y trouve la réflexion de M. de Grignan admirable : on l’a pensée quelquefois ; mais vous l’avez habillée pour paroître devant le monde. Je n’ai pas dit ce

  1. 3. Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot, médecin du père du grand Condé et ensuite de la reine Christine. Mme de la Baume et Bourdelot avaient écrit une diatribe contre l’Espérance, et la Princesse palatine y fit une réponse, publiée dans la Correspondance de Bussy et dans le tome II de l’édition de 1818 des Lettres de Mme de Sévigné.