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pays-ci, parce qu’on y fait de furieux voyages. Vous jouez d’un malheur insurmontable, vous perdez toujours. Voilà bien de l’argent qui vous épuise ; je ne puis croire que vous en ayez assez pour ne vous point sentir de ces pertes continuelles. Croyez-moi, ne vous opiniâtrez point ; je suis plus sensible que vous à ce continuel guignon. Souvenezvous que vous avez perdu tout cet argent sans vous divertir : au contraire, vous avez donné cinq ou six mille francs pour vous ennuyer et pour être houspillée de la fortune. Ma bonne, je m’emporte ; il faut dire comme Tartuffe : « C’est un excès de zèle[1]. »

À propos de comédie, voilà Bajazet. Si je pouvois vous envoyer la Champmeslé, vous trouveriez cette comédie belle ; mais sans elle, elle perd la moitié de ses attraits. Je suis folle de Corneille ; il nous redonnera encore Pulchérie, où l’on verra encore

La main qui crayonna
La mort du grand Pompée et l’amour de Cinna
[2].

Il faut que tout cède à son génie.

Voilà une petite fable de la Fontaine, qu’il a faite sur l’aventure du curé de M. de Boufflers, qui fut tué tout roide en carrosse auprès de lui[3] : cette aventure est bi-

  1. 24.
    Ouf ! vous me serrez trop. — C’est par excès de zèle.
    (Tartuffe, acte III, scène iii.)
  2. 25. Corneille avait dit dans ses vers à Foucquet, imprimés en tête de son Œdipe (1659) :
    Et je me trouve encor la main qui crayonna

    L’âme du grand Pompée et l’esprit de Cinna.

    — Sur Pulchérie, voyez la lettre du 15 janvier précédent, p. 470, et celle (de Mme de Coulanges) du 24 février 1673.

  3. 26. Voyez la fable xi du livre VII, dont il a été parlé p. 514. — Boufflers était mort le 14 février ; le curé avait été tué quelques jours après ; le 26, Mme de Sévigné racontait l’événement, et le 9 mars la fable de la Fontaine circulait, en manuscrit sans aucun doute. Le recueil où elle est contenue ne fut publié qu’en 1678.