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possible de ne les pas croire ; la défiance même en seroit convaincue : elles ont ce caractère de vérité que je maintiens toujours, qui se fait voir avec autorité, pendant que la fausseté et la menterie demeurent accablées sous les paroles sans pouvoir persuader ; plus elles s’efforcent de paroître, plus elles sont enveloppées. Les vôtres sont vraies et le paroissent. Vos paroles ne servent tout au plus qu’à vous expliquer ; et dans cette noble simplicité, elles ont une force à quoi l’on ne peut résister. Voilà, ma bonne, comme vos lettres m’ont paru. Mais quel effet elles me font, et quelle sorte de larmes je répands, en me trouvant persuadée de la vérité de toutes les vérités que je souhaite le plus sans exception ! Vous pourrez juger par là de ce que m’ont fait les choses qui m’ont donné autrefois des sentiments contraires[1]. Si mes paroles ont la même puissance que les vôtres, il ne faut pas vous en dire davantage : je suis assurée que mes vérités ont fait en vous leur effet ordinaire ; mais je ne veux point que vous disiez que j’étois un rideau qui vous cachoit : tant pis si je vous cachois, vous êtes encore plus aimable quand on a tiré le rideau ; il faut que vous soyez à découvert pour être dans votre perfection ; nous l’avons dit mille fois. Pour moi, il me semble que je suis toute nue, qu’on m’a dépouillée de tout ce qui me rendoit aimable. Je n’ose plus voir le monde, et quoi qu’on ait fait pour m’y remettre, j’ai passé tous ces jours-ci comme un loup-garou, ne pouvant faire autrement. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens ; j’ai cherché ceux qui sont de ce petit nombre, et j’ai évité les autres. J’ai vu Guitaut et sa femme[2] ; ils vous aiment : mandez-moi

  1. LETTRE 133 (revue sur une ancienne copie). —1. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.
  2. 2. Voyez la note 1 de la lettre 137.