Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 89 —

me rendre sainte. Dès que j’entends quelque chose de beau, je vous souhaite ; vous avez part à tout ce que je pense : j’admire en moi tous les jours les effets naturels d’une extrême amitié. Je vous embrasse tendrement, embrassez-moi aussi. Une petite amitié à mon Coadjuteur ; pour M. de Grignan, il me semble qu’il est si glorieux de vous avoir, qu’il n’écoute plus personne.


1671

141. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Mardi 3e mars.

Si vous étiez ici, ma chère bonne, vous vous moqueriez de moi ; j’écris de provision, mais c’est par une raison bien différente de celle que je vous donnois un jour, pour m’excuser d’écrire à quelqu’un une lettre qui ne devoit partir que dans deux jours : c’étoit parce que dans deux jours je n’aurois pas autre chose à lui dire. Voici tout le contraire ; c’est que j’aime à vous entretenir à toute heure, et que c’est la seule consolation que je puisse avoir présentement. Je suis aujourd’hui toute seule dans ma chambre par l’excès de ma mauvaise humeur. Je suis lasse de tout ; je me suis fait un plaisir de dîner ici, et je m’en fais un de vous écrire hors de propos : mais, hélas ! vous n’avez pas de ces loisirs-là. J’écris tranquillement, et je ne comprends pas que vous puissiez lire de même : je ne vois pas un moment où vous soyez à vous. Je vois un mari qui vous adore, qui ne peut se lasser d’être auprès de vous, et qui peut à peine comprendre son bonheur. Je vois des harangues, des infinités de compliments, de civilités, des visites ; on vous fait des honneurs extrêmes, il faut répondre à tout cela, vous êtes accablée ; moi-même, sur