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Je vous prie de me dire comment vous avez digéré le déplaisir de n’être pas témoin des grandes victoires du Roi, et de la ruine de toute une république en une demi-campagne. Comment persuaderiez-vous ce prodige à la postérité, si vous étiez son historien ?

Hoc opus, hie labor est[1].

Je sais que votre éloquence égale ses hauts faits ; mais égalera-t-elle le peu de disposition que cette postérité aura de croire des choses si peu vraisemblables ? Mais que dira-t-elle cette postérité pour justifier le Roi de vous avoir traité comme il a fait, après tant de services considérables ? et que direz-vous vous-même pour le mettre à couvert du blâme qu’il en pourroit recevoir ?

Comment se portent Mesdemoiselles de Bussy ? On m’a dit qu’elles apprenoient l’italien : c’est très-bien fait à elles. Je meurs d’envie de voir ce qu’elles savent dans le Pastor fide[2] et dans l’Aminte, car je ne les crois pas encore assez habiles pour entendre le Tasse.

de madame de sévigné.

Les oreilles ne vous ont-elles point corné depuis que j’ai ici notre cher Corbinelli, et surtout l’oreille droite ? car c’est l’oreille droite qui corne quand on dit du bien. Quand nous avons fini de vous louer par tout ce que vous avez de louable, nous pleurons sur votre malheur et sur l’abîme où votre étoile vous a jeté. Mais finissons ce triste chapitre, en attendant que la mort finisse tout.

  1. 2. Virgile, Énéide, livre VI, v. 129.
  2. 3. Le Pastor fido de Guarini. Ce titre est ainsi francisé dans la copie de Bussy. —Nous n’avons pas besoin de dire que par le Tasse Corbinelli entend la Jérusalem délivrée. L’Aminta du même auteur offre moins de difficultés.