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maison[1], où l’on n’entre point. Il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements. Elle a un carrosse, des gens et des chevaux ; elle est habillée modestement et magnifiquement, comme une femme qui passe sa vie avec des personnes de qualité. Elle est aimable, belle, bonne et négligée : on cause fort bien avec elle. Nous revînmes gaiement à la faveur des lanternes[2], et dans la sûreté des voleurs.

Mme d’Heudicourt[3] est allée rendre ses devoirs : il y avoit longtemps qu’elle n’avoit paru en ce pays-là. Si elle n’étoit point grosse, on est persuadé qu’elle rentreroit bientôt dans ses premières familiarités. On juge par là que Mme Scarron n’a plus de vif ressentiment contre elle. Son retour a pourtant été ménagé par d’autres, et ce n’est qu’une tolérance. La petite d’Heudicourt[4] est jolie comme un ange ; elle a été de son chef huit ou dix jours à la cour, toujours pendue au cou du Roi. Cette petite avoit adouci les esprits par sa jolie présence : c’est la plus belle vocation pour plaire que vous ayez jamais vue. Elle a cinq ans ; elle sait mieux la cour que les vieux courtisans.

On disoit l’autre jour à Monsieur le Dauphin qu’il y avoit un homme à Paris qui avoit fait pour chef-d’œuvre un petit chariot qui étoit traîné par des puces. Il dit à M. le prince de Conti : « Mon cousin, qui est-ce qui a fait

  1. 6. C’est dans cette maison qu’étoient élevés les enfants du Roi et de Mme de Montespan, dont Mme Scarron étoit gouvernante. (Note de Perrin.)
  2. 7. « Les rues de Paris ont commencé en 1666 à être éclairées par des lanternes avec des chandelles, pendant neuf mois de l’année ; on en exceptoit les huit jours de lune. » (Dictionnaire de Paris, par Hurtaut et Magny.) Les réverbères à huile ne furent employés que plus d’un siècle après.
  3. 8. Bonne de Pons, marquise d’Heudicourt, dont on a vu la disgrâce dans la lettre du 9 février 1671.
  4. 9. Depuis marquise de Montgon. (Note de Perrin.)